La viticulture régénérative, ou régénératrice, regroupe un ensemble de techniques permettant de séquestrer du carbone dans les sols viticoles. Derrière ce terme, émergeant dans le vocabulaire de la filière, on retrouve les bases d’autres courants techniques basés sur des sols vivants. La couverture du sol par les plantes, la fertilisation organique, le pastoralisme, l’absence de labour sont les clés de voûte de la démarche à portée internationale.
Emprunté à la langue anglaise, l’adjectif « régénérative » fait son chemin dans le monde agricole. À traduire en français par régénérateur ou régénératrice, on peut le définir par : qui a la vertu, le pouvoir de régénérer.
Si l’on continue cette enquête linguistique, on se rappelle que le verbe régénérer signifie « renouveler en redonnant les qualités perdues » pour Le Petit Robert et « réformer en ramenant à un état antérieur jugé supérieur » pour Larousse. Le fait de vouloir régénérer sous-tend donc la mise en place d’actions pour aller vers une amélioration à partir d’une situation jugée détériorée. Pour conclure cette introduction, gardons en tête que régénérer est synonyme de reconstituer, et l’inverse de dégrader. Qui régénère ne se contente pas de l’état présent.
Des sols riches en carbone et en micro-organismes
Maintenant que les termes sont posés, intéressons-nous au contenu technique.
L’agriculture, l’arboriculture ou encore la viticulture régénérative sont aussi bien conventionnelles que biologiques. Car cette démarche transcende la question de la protection phytosanitaire. Le cœur d’un système régénératif est le sol. Tout l’enjeu est d’améliorer le sol au travers de ses trois fertilités : physique, biologique et chimique.
Deux principes de base aiguillent la démarche régénérative :
- augmenter l’activité biologique des sols et la diversité des micro-organismes du sol ;
- augmenter la teneur en carbone du sol et le taux de matières organiques du sol.
Les principales techniques régénératives permettant de satisfaire aux deux principes précédemment cités sont :
- l’apport de matières fertilisantes uniquement organiques, d’origine animale ou végétale ;
- la simplification du travail du sol entre les rangs et l’arrêt des herbicides ;
- la mise en place de couverts végétaux en mélange, préférentiellement semés et temporaires pour éviter la concurrence avec la vigne ;
- une couverture du sol la plus longue possible.
À ces pratiques, bases fondamentales de ce que l’on appelle en France l’agriculture de conservation, s’ajoutent l’intégration de ruminants dans les vignes.
Dans les systèmes où des engrais verts sont semés, faire pâturer les parcelles semble assez contre-intuitif… Pourquoi mettre des herbivores dans une culture semée dans l’objectif de produire un maximum de biomasse sur une durée limitée ? L’explication se trouve chez les éleveurs, adeptes du pâturage tournant dynamique.
Faire pâturer les couverts végétaux…
La technique, venue de Nouvelle-Zélande, consiste à faire paître un nombre élevé d’animaux sur de petites parcelles et sur un temps très court, inférieur à trois jours, afin d’optimiser la repousse de l’herbe des prairies. Appliquée à la viticulture régénérative, la présence de ruminants (le plus souvent des brebis) permettrait d’augmenter la productivité des couverts végétaux. « Cette méthode concentre le fumier sur de plus petites parcelles de sol. Elle réduit également le risque de surpâturage et de pâturage sélectif. Les animaux déplacés fréquemment laissent après leur passage une biomasse végétative plus importante qui se rétablit plus rapidement en raison d'une plus grande surface foliaire laissée aux plantes des couverts. Ce pâturage léger et continu maintient les plantes dans un état végétatif et favorise la croissance des racines qui produisent des exsudats racinaires, nourrissent les microbes du sol et pompent le carbone dans le profil du sol », précise le chercheur et viticulteur australien Roberts Leask dans un rapport sur la viticulture régénérative, récompensé par une bourse Nufield. Dans ce cadre, les brebis ne sont plus là pour désherber et contenir la végétation mais, au contraire, pour en booster la croissance.
Quentin Dida, associé avec Jérôme Courgey dans l’entreprise de conseils et de prestations de semis Couverts végétaux services, s’intéresse particulièrement à ce sujet. « La méthode du pâturage tournant dynamique (ou mob grazing en anglais) n'a encore jamais été appliquée aux couverts végétaux en viticulture en France. Nous allons mener les premières expérimentations cette année en Champagne, en lien avec Clément Rigaut, un vigneron qui possède son propre troupeau de moutons. Sur plusieurs de ses parcelles, nous allons tester différentes modalités permettant d'étudier l'impact de la composition des couverts, la densité de semis, le temps de pâturage et la durée de la rotation sur l'efficacité de cette méthode. Les moutons seront introduits dans les vignes pendant l’hiver, période durant laquelle le couvert végétal se maintient à une vingtaine de centimètres de hauteur. Réalisé à cette période, le pâturage a pour objectif de provoquer le tallage des végétaux dont la vigueur se trouvera accrue après le passage des ruminants qui, après avoir inoculé le milieu en micro-organismes bénéfiques, enrichiront le sol du fruit de leur alimentation. Notre objectif est de maximiser la production du couvert végétal, aussi bien du point de vue de la partie aérienne (qui peut atteindre plus d'1,80 m de haut à la fin du mois de mai, soit 10 t de matière sèche par hectare), que du point de vue du sol où l'on cherche à injecter un maximum de carbone grâce au couvert. »
Des pratiques adaptées aux conditions locales
La mise en œuvre de la viticulture régénérative n’est pas liée à un label qui valide ou interdit des pratiques. Les moyens pour préserver le sol et l’améliorer sont adaptables aux conditions pédoclimatiques de chaque site. La part de vignes avec un enherbement semé, la nature des couverts, la date de destruction, la méthode de destruction, le type d’amendements organiques, etc. apportés varient d’un pays à un autre, d’un domaine à l’autre.
Par ailleurs, les techniques associées à la viticulture régénérative ne sont pas limitées en nombre. Tout ce qui contribue à améliorer les fertilités du sol et à éviter la perte de terre par érosion entre dans la démarche. Ainsi, certains viticulteurs intègrent dans leurs pratiques : l’application de thés de compost au sol, une plantation réfléchie pour limiter l’érosion par ruissellement, l’intégration de haies et d’arbres, etc.
La famille Torrès, producteur-négociant emblématique d’Espagne, a organisé cette année le premier symposium sur la viticulture régénérative. Des experts et des vignerons internationaux ont partagé leurs expériences. Les vidéos des interventions sont en ligne.
Moteur dans le développement d’une filière bas-carbone, la famille Torrès a fait de la viticulture régénérative une des briques permettant de réduire les émissions de carbone à l’échelle d’un domaine. « La viticulture régénérative vise à atteindre un nouvel équilibre basé sur l'augmentation de la biodiversité et de la matière organique des sols. Cet équilibre permet de capter et de fixer dans le sol le CO2 accumulé dans la troposphère, contribuant ainsi à ralentir le réchauffement climatique, précise Miguel Torres Maczassek, directeur général de la multinationale familiale. Les vignobles aux sols régénérés peuvent mieux s'adapter au changement climatique et aider à en atténuer les effets, car ils ont le potentiel de devenir de grands puits de carbone. C'est la viticulture du changement climatique. »
Pour aller plus loin : nous vous proposons une interview exclusive de Miguel Torres Maczassek à lire sur www.mon-viti.com. Il détaille les techniques régénératives mises en place dans les vignes familiales situées dans la DO Pénèdes, en Espagne.
Article paru dans Viti Leaders n°465 de novembre-décembre 2021