Monique van Vegchel, Plantum : « Il y a urgence à maîtriser la performance semencière »

Monique van Vegchel est chargée de stratégie recherche à Plantum, un groupement qui représente environ 300 entreprises aux Pays-Bas dans le secteur de la sélection et de la diffusion des semences et des jeunes plants. L’un de ses domaines de prédilection est celui des nouvelles techniques génomiques (NGT). Elle s’intéresse également de près à la sélection fondée sur la data et au bénéfice de l’intelligence artificielle sur la création de nouvelles semences.

Monique van Vegchel, chargée de stratégie recherche à Plantum.

© plantum

>>> Les semences jouent un rôle fondamental dans l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition, dans le soutien aux moyens de subsistance des agriculteurs et communautés rurales, et favorisent l’utilisation durable des ressources et une meilleure adaptation au changement climatique pour en atténuer ses effets. Dans ce contexte, quels sont les principaux enjeux pour les producteurs de semences aujourd’hui ?
Monique van Vegchel : Compte tenu des enjeux, le principal défi pour les producteurs de semences est de s’assurer qu’ils fournissent aux agriculteurs des semences qui offrent des rendements stables, quelles que soient les contraintes. Alors que le changement climatique accentue les événements imprévisibles, en matière de météo ou de rendement des cultures, notre capacité à prévoir les performances semencières devient vitale.

Le défi est complexe tant les facteurs d’influence sont nombreux – qualité du sol, quantité d’eau, températures, etc. –, les sélectionneurs doivent mettre sur le marché des semences performantes en toutes circonstances.


>>> D’après ce que vous dites, l’innovation et l’accès à de nouvelles variétés semblent essentiels pour améliorer la productivité agricole, sa durabilité et sa résistance au changement climatique. La nouvelle législation européenne sur les nouvelles techniques génomiques (NGT) peut-elle répondre aux attentes ?
M. v. V. : Les NGT constituent en effet une partie de la réponse, elles sont particulièrement utiles pour accélérer le processus de sélection, sans toutefois constituer la solution miracle. Les NGT représentent un outil supplémentaire, notamment les Crispr-Cas qui font partie des innovations les plus révolutionnaires de ces dernières années. Mais l’utilisation des NGT requiert une connaissance approfondie du génome de votre culture pour obtenir les résultats souhaités.

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Par ailleurs, le changement climatique est aujourd’hui si intense et rapide qu’il exige une accélération de la mise sur le marché de nouvelles semences, un challenge pour les sélectionneurs. Ces nouvelles problématiques appellent de nouvelles réponses. Des mesures importantes ont été prises pour ouvrir une nouvelle ère, celle des NGT.

Le débat sur les NGT a été bénéfique, en présentant des faits scientifiques et en élaborant un cadre solide et équilibré, offrant aux acteurs économiques la liberté d’utiliser ces techniques, ou non, s’ils ne le souhaitent pas. Je pense que l’utilisation des NGT doit être une option viable pour tous les acteurs intéressés, en particulier les PME. En d’autres termes, les NGT doivent devenir plus facilement accessibles. Elles doivent être démocratisées.


>>> L’Europe est-elle en bonne place dans cette course ?
M. v. V. : Bien sûr, j’aurais aimé que le débat sur les NGT ait lieu plus tôt en Europe. Mais il n’est pas trop tard et l’Europe est toujours dans la course, d’autant plus que son secteur semencier est très fort et que ses qualités sont internationalement reconnues. Cela dit, pendant que l’Europe hésitait, le reste du monde avançait, et certains pays, comme les États-Unis et le Japon, ont déjà mis sur le marché des légumes utilisant la technologie des croisements par édition du génome.

Aux États-Unis, une nouvelle variété de feuilles de moutarde, commercialisée depuis mai 2023, en est un exemple. Les feuilles de moutarde ont une valeur nutritionnelle supérieure à celle de la laitue romaine traditionnelle, mais leur amertume initiale les rend indésirables pour les consommateurs. Grâce à des techniques d’édition, les scientifiques ont réussi à supprimer partiellement cette amertume, rendant le produit plus comestible en salade.

La technologie améliore donc le régime alimentaire et la santé des consommateurs. Au Japon, les premières tomates Crispr ont été approuvées début 2021 et vendues dans les supermarchés depuis février 2024. Comparées aux tomates traditionnelles, les tomates Crispr contiennent une concentration beaucoup plus élevée d’un composé végétal (GABA) qui diminuerait la transmission de signaux spécifiques dans le système nerveux central, entraînerait une baisse de la tension artérielle, selon l’allégation faite sur l’étiquetage.

Il est intéressant de noter que ces nouvelles graines et plantes semblent se concentrer uniquement sur la santé humaine. Peut-être parce que les caractéristiques des semences et des plantes concernant la résistance au changement climatique sont plus complexes à traiter. Mais je suis certaine que d’autres NGT – des cultures qui traitent de la résilience, ainsi que des variétés qui nécessitent moins d’intrants, engrais ou produits phytosanitaires – arriveront bientôt sur le marché mondial.


>>> Certaines entreprises se lancent aujourd’hui dans de nouvelles méthodes de développement de semences à l’aide de l’intelligence artificielle. Est-ce l’avenir ? Qu’attendez-vous de ces nouvelles technologies ?
M. v. V. : Il s’agit en effet de la prochaine grande nouveauté. L’avenir de la sélection des semences sera axé sur les données. Par exemple, pour la sélection assistée par marqueur (MAS), un processus de sélection indirecte dans lequel un trait est sélectionné sur la base de la variation d’un marqueur (biochimique ou ADN, par exemple) lié à un autre trait (productivité, résistance aux maladies…) plutôt que sur le trait lui-même.

Ce processus a déjà fait l’objet de recherches approfondies dans le domaine de l’amélioration des plantes. Il n’est donc pas nouveau, mais des progrès peuvent encore être réalisés pour diverses cultures, du blé au maïs, mais aussi pour les légumes, les fruits et le secteur des plantes ornementales. En permettant l’analyse d’énormes quantités de données, l’intelligence artificielle (IA) nous permet de donner un sens à ces données et statistiques collectées et accélérera l’efficacité dans le processus de sélection.

L’impact sera énorme, car nous avons besoin de semences et de variétés de plantes plus résistantes et moins demandeuses en engrais chimiques ou agents phytopharmaceutiques chimiques. La plupart des entreprises de sélection, petites et grandes, utilise aujourd’hui l’IA et développe des programmes pour en accroître l’utilisation et rester compétitive.

C’est une question de bon sens !


>>> À cet égard, quelle serait la configuration idéale pour une coopération public-privé ?
M. v. V. : La coopération public-privé existe déjà. Aux Pays-Bas, nous avons de nombreuses expériences très réussies dans ce type de coopération. Par exemple, l’institut CropXR, qui se consacre au développement de cultures plus résistantes grâce à une « sélection intelligente » innovante, a été lancé récemment.

Il associe la recherche expérimentale (avec des institutions telles que Wageningen University & Research, dont l’objectif principal est une alimentation saine et un bon cadre de vie) avec Plantum et des partenaires commerciaux tels que Limagrain ou Sakata Seeds.

Outre la recherche fondamentale, cet institut se concentre sur l’intelligence artificielle et la modélisation informatique, dans le but de développer des technologies et des méthodes permettant de créer de nouvelles variétés de cultures mieux adaptées au changement climatique et moins dépendantes d’interventions agricoles néfastes.

Des financements publics et privés sont nécessaires pour soutenir une telle entreprise, c’est le cas de CropXR. La raison est simple : la complexité de la situation climatique actuelle et ses impacts sur la production agricole sont tels qu’une entreprise seule ne peut relever le défi. Nous avons besoin de toutes les synergies possibles pour passer au plus vite du laboratoire au champ.