Produire en repassant sous les limites planétaires

Les Céréalistes, événement organisé par la coopérative Vivescia du 3 au 6 juin 2024, ont été l’occasion d’une conférence scientifique sur les enjeux de la qualité des sols pour produire des denrées alimentaires avec un moindre impact sur l’environnement.

Echantillon de sol - Matière organique - Analyse

Augmenter le taux de matière organique dans les sols passe par l'application de techniques déjà connues, mais qui restent à généraliser.

© Pixel6tm

Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture d’Inrae, a introduit cette grande conférence des Céréalistes en faisant un point sur le dépassement des limites planétaires, comme il l’avait déjà évoqué lors du 3e symposium luzerne au mois de février dernier. Il a toutefois précisé que, pour que l’humanité revienne dans le cadre des limites planétaires, plusieurs exigences incombent à l’Homme... dont les plus importantes doivent être supportées en partie par les agriculteurs :

  • une gestion irréprochable de l’azote, c’est-à-dire appliquer strictement la dose juste nécessaire à la production des cultures sans le moindre excès ;
  • une meilleure gestion des déchets humains et animaux, dont la très grande majorité est actuellement mal recyclée, voire pas du tout. « À ce jour, seulement 5 millions de tonnes sont réutilisées, sur les 35 millions produites ! »

Fort de ce constat, le directeur scientifique d’Inrae a conclu son propos en invitant la profession agricole à produire des denrées alimentaires sans risque pour les consommateurs et l’environnement, tout en conservant le plaisir de la table !

Produire de manière durable

Le sol est bien évidemment au cœur de productions durables. « La production de biomasse, et donc de denrées alimentaires, est l’une des fonctions du sol », note d’ailleurs Pascal Boivin, professeur à la haute école genevoise Hepia.

Mais il relativise : « Le sol a bien d’autres fonctions, qui peuvent être dégradées dans les sols cultivés. L’agriculture dite "intensive", conséquence directe du plan Marshall, est une agriculture minière. Depuis presque 80 ans, la fertilité physique du sol est gérée à l’encontre de celui-ci, la fertilité chimique est gérée de manière hors sol et la matière organique est carrément passée sous les radars ! »

Un modèle de production qui est en fin de course, selon le chercheur, compte tenu des défis climatiques et environnementaux à relever dans l’avenir.

Le rapport MO/argile comme état des lieux

Pour Pascal Boivin, de nombreuses propriétés du sol sont directement proportionnelles à la quantité de matière organique (MO) présente dans le sol. Or, « la matière organique du sol est globalement le seul levier sur lequel l’Homme à la main pour piloter sa santé ».

C’est pour cette raison en partie que Pascal Boivin est l’un des auteurs d’une étude évaluant la qualité du sol selon le rapport MO/argile (ou C/argile). L’objectif étant d’atteindre un rapport de 24 %. Un seuil a été fixé à 17 %, car il correspond au ratio pour lequel le bilan carbone du sol est nul ; c’est-à-dire qu’il n’y a ni perte ni gain de carbone dans le sol. Et un dernier seuil, critique celui-là, est fixé à 12 %, valeur sous laquelle un sol ne doit pas passer, auquel cas il est considéré comme très dégradé.

Des solutions déjà connues à généraliser

Afin de gagner des points de MO dans un sol, il n’existe pas pléthore de méthodes, selon le chercheur suisse. Cela se résume même à trois pistes principales :

  • l’introduction des couverts végétaux de manière systématique ou presque. Des couverts végétaux réussis, qui produisent donc une grande quantité de biomasse. « En dessous de 5 tMS/ha, un couvert végétal est considéré comme raté en Suisse », précise Pascal Boivin ;
  • l’augmentation du bilan humique du sol par l’apport de matières organiques exogènes ;
  • la diminution de l’intensité mécanique du travail du sol. Cette intensité mécanique est caractérisée par l’indicateur STIR (Soil Tillage Intensity Rating). « Plus l’intensité mécanique est élevée, plus le risque de perte de carbone dans le sol est important », complète le chercheur. Il note « qu’un STIR avec une valeur de 140 correspond à la neutralité d’un point de vue carbone. Il n’y a alors ni perte ni gain de carbone dans le sol ».

Chacun de ces trois leviers est interdépendant des autres, explique Pascal Boivin : « Par exemple, il a été observé que plus l’intensité mécanique est importante sur une exploitation agricole, moins il y a de couverts semés et moins leur biomasse est importante. Ce qui est logique. Le travail du sol nécessite du temps, retarde le semis des couverts végétaux et assèche le sol à une période où il faut plutôt essayer de conserver son humidité. »

Penser système !

Cela étant, le chercheur suisse n’est pas venu dans la Marne pour donner des leçons. Rien n’est tout blanc ou tout noir. C’est avant tout une question de transition. Et il faut compter 5 ans pour une transition réussie vers l’agriculture régénérative.

« Toutes les techniques à mettre en œuvre sont connues, lance-t-il, mais il faut les généraliser à toute la population agricole... Sans pour autant dicter une marche à suivre. Chacun doit être libre de suivre son chemin pour atteindre l’objectif de stockage de carbone dans le sol. Il est, de fait, important de passer d’un schéma de pensée basique à un schéma systémique ! »