Des défis à relever dans la filière pommes

Après plusieurs années difficiles, la récolte 2023 redonne un peu d'oxygène aux producteurs de pommes. Mais les défis restent nombreux pour retrouver un équilibre durable, qu'il s'agisse de s'adapter à l'évolution du climat, de la réglementation, des coûts ou des marchés.

verger pomme coteaux

En Limousin, la production de pommes permet de valoriser les coteaux bien exposés, en complément de l'élevage.

© AOP Pommes du Limousin

Avec des rendements corrects, de belles qualités de fruits et des marchés mieux équilibrés, la récolte 2023 a redonné le moral aux producteurs de pommes après plusieurs années marquées par des aléas climatiques et économiques. « La campagne 2022-2023 a été particulièrement éprouvante. Les prix de vente ont baissé alors que les coûts flambaient. Ceux-ci n'ont pu être partiellement répercutés qu'en fin de campagne », note Vincent Guérin, de l'ANPP.

Pris dans ce ciseau, les producteurs ont perdu de l'argent et souvent reporté les plantations prévues. D'autres ont accéléré l'arrachage des vergers les moins rentables.

2023 : retour de la qualité et des rendements

Les pics de chaleur et les stress hydriques marqués de 2022 ont encore aggravé la situation. Les pommes ont parfois été cueillies en surmaturité, faute de main-d'œuvre suffisante pour tenir le rythme, ce qui a compliqué la conservation. Les écarts de tri en station ont grimpé.

« Nous avons perdu des volumes mais aussi de la qualité, avec du cracking sur Pink Lady comme nous n'en avions jamais vu », relève Didier Crabos, directeur de la coopérative Cofruid'Oc à Saint-Just, dans l'Hérault, et président de l'association Pink Lady Europe. Heureusement, en 2023, la qualité a été de nouveau au rendez-vous. « Cela se sent dans la dynamique de consommation », apprécie-t-il.

Après trois petites récoltes successives, les producteurs du Limousin ont retrouvé des rendements tout juste corrects en 2023. « Les gels à répétition ont déséquilibré les arbres et provoqué de l'alternance, y compris sur golden », observe Laurent Rougerie, président de l'AOP Pommes du Limousin et de la coopérative Limdor à Saint-Yiriex-la-Perche.

Les producteurs des Alpes, touchés eux aussi trois fois par le gel, observent le même problème. « Nous nous sommes mobilisés pour trouver des aides et mieux protéger nos vergers, avec des tours à vent lorsque nous n'avions pas assez d'eau pour la lutte par aspersion », indique Cédric Massot, arboriculteur à La Motte-du-Caire, dans les Alpes-de-Haute-Provence, et administrateur d'Alp'Union.

vue aérienne verger filets réserve d'eau

Réserves d'eau, utiles pour l'irrigation comme pour la lutte anti-gel par aspersion, et filets paragrêle sécurisent les investissements au verger, comme en Limousin sur cette photo.

© Michaël Barret

Des évolutions de fond

Ces difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles. Des évolutions de fond se profilent avec lesquelles il va falloir compter. « La filière pomme a déjà traversé des périodes difficiles, mais pas aussi complexes. Aujourd'hui, c'est tout notre écosystème qui est bousculé. Nous avons besoin de comprendre ce qui se passe et de trouver comment nous y adapter afin de rester performants », relève Didier Crabos.

Au fil des années, le rendement moyen commercialisable s'érode. « Les années où le verger français exprime son plein potentiel se font rares. Avec le dérèglement climatique, les aléas deviennent plus fréquents. La diversification se fait aussi avec des variétés moins productives. Et, enfin, la réduction des moyens de protection phytosanitaires se traduit par une hausse des écarts de tri », relève Vincent Guérin.

En 2022, ceux-ci ont été particulièrement élevés, ce qui a provoqué un engorgement de la transformation. « Nous avions plus de 25 % de nos volumes à vendre aux industriels cette année-là contre 10 à 15 % d'habitude. Il a fallu laisser des fruits sur les arbres faute de débouchés, afin d'éviter des frais inutiles », note Laurent Rougerie.

Dans le même temps, des camions de pommes polonaises venaient approvisionner des usines de transformation en Limousin, ainsi que des grossistes spécialisés dans la restauration hors foyer (RHF). « Nous avons mené une action collective auprès d'un de ces grossistes. Depuis, il achète des pommes françaises », apprécie-t-il. Dans la RHF, le premier enjeu est aujourd'hui d'obtenir que l'origine des produits soit indiquée. Avec les transformateurs, il s'agit de construire des relations valorisantes dans la durée.

La concurrence des marchés étrangers

Plus ou moins marquée en fonction des années, la concurrence polonaise se développe et pas seulement sur les premiers prix. « Une partie des producteurs polonais ont aujourd'hui la technicité, l'encadrement et les variétés adaptées à l'export », observe Vincent Guérin. « La Pologne, mais aussi la Serbie, la Turquie ou l'Ukraine nous concurrencent en cœur de gamme sur les marchés du Moyen-Orient, dont ils sont plus proches géographiquement », note David Socheleau, du Verger de La Blottière à Saint-Georges-des-Gardes en Maine-et-Loire.

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La valorisation de la catégorie II devient plus difficile, car des marchés comme ceux de la Russie et de l'Algérie se sont fermés. « En 2016, nous avons perdu nos débouchés en Algérie pour la catégorie I bis et la catégorie II, qui absorbaient 20 % de nos goldens à des prix corrects. Même si la golden reste notre variété phare, nous devons nous diversifier avec des variétés en club », affirme Cédric Massot.

pomme pommier

Au verger, conserver un rendement régulier reste indispensable pour maîtriser les coûts. Mais les gels à répétition ont accentué l'alternance.

© AOP Pommes du Limousin

Sur son exploitation, il a renouvelé 12 % des vergers entre 2017 et 2021 avec Pink Lady et Swing en bio, cette dernière en partenariat avec le groupe Gerfruit/Mylord'. « Afin de conserver des volumes, indispensables pour trouver de nouveaux débouchés, nous cherchons des synergies commerciales. Des réflexions sont en cours avec d'autres régions », précise-t-il.

S'adapter et rester combatif

Préserver le renouvellement reste indispensable pour adapter le matériel végétal tout en conservant un rendement correct. « C'est le premier levier pour maîtriser les coûts. À la coopérative, nous orientons nos programmes opérationnels sur la modernisation des vergers. Et nous avons créé une caisse de solidarité pour soutenir ceux qui plantent et vont ainsi assurer l'avenir », note Laurent Rougerie. Sur le plan commercial, Limdor a créé une société avec le domaine de Castang, en Dordogne, afin de regrouper des volumes et d'élargir la gamme de variétés.

Bien que les marges se soient réduites, de jeunes producteurs motivés continuent malgré tout de croire en l'avenir de la filière. « Dans notre région, il y a du renouveau tant sur le plan technique, syndical que commercial », apprécie Cédric Massot. Cette dynamique se retrouve dans les autres régions. Afin de la préserver, il faudrait éviter de décourager les producteurs avec des demandes sociétales incohérentes. « C'est un enjeu majeur. Nous avons besoin de mieux faire comprendre aux consommateurs la réalité du métier, en multipliant les occasions de rencontre », note Didier Crabos.

Tous ces défis nécessitent une mobilisation collective, de l'écoute, des échanges et du temps. « C'est un chantier enthousiasmant si on ne tombe pas dans la simplification. Gardons un optimisme combatif ! » lance-t-il. Dans les Alpes, l'état d'esprit est le même. « Nous allons continuer à investir et à produire », affirme sans hésiter Cédric Massot.

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