Le changement climatique est en train de bouleverser la géographie planétaire des vignobles. Avec des perdants et des gagnants, exemple de la Suède. Comme au Danemark, aux Pays-Bas ou en Belgique, la Suède, à la faveur de conditions climatiques plus clémentes, voit émerger une viticulture qui vient aussi en réponse à une longue tradition de consommation domestique. Opportunisme commercial et climat moins rigoureux créent les conditions favorables à l’éclosion de nouveaux pays producteurs et de nouveaux vignerons.
Rencontre avec l’un d’entre eux, K Felix G Åhrberg, winemaker de Kullabergs Vingard en Suède.
Vue de France, la Suède apparaît comme un pays nordique, dont les conditions naturelles semblent très hostiles à la vigne, qu’en est-il réellement ?
K Felix G Åhrberg : La culture de la vigne en Suède se fait au sud du pays, très loin des températures polaires, en grande partie le long des régions côtières, telles que la côte sud de la Skåne et de Blekinge, la côte ouest de Halland, les îles orientales de Gotland et Öland, et à proximité des grands lacs du Sud.
La mer offre un environnement protecteur avec un hiver de moins en moins rigoureux, une saison de croissance de la vigne plus longue. Il pleut entre 700 et 800 mm par an, surtout à l’automne et en hiver. Nous n'avons quasiment pas de neige et de températures extrêmes en hiver, les étés sont assez secs, mais le principal problème reste les gelées précoces du printemps, comme ailleurs.
Le climat est donc assez doux, et devrait devenir de plus en plus doux.
Quels sont les principaux cépages cultivés en Suède ?
K.F.G.A. : Vous n'aurez probablement pas entendu parler de la plupart d'entre eux. Beaucoup sont des hybrides particulièrement rustiques et résistants développés en Allemagne. Le solaris est le cépage de vin blanc le plus courant. Le rondo est un raisin de vin rouge très commun.
Cependant, le chardonnay, le riesling, le cabernet franc, le merlot et le pinot noir sont également présents. Les vins comprennent des blancs, des rouges, des rosés et des effervescents. Nous produisons aussi des vins oranges, du cidre et des alcools viniques. Nos itinéraires techniques se veulent les plus naturels possible, avec un minimum d’interventions et d’utilisations de produits phytosanitaires de synthèse. Nous nous sommes beaucoup inspirés des vignobles allemands. Nos conditions de production sont extrêmement favorables à la production de qualité.
La viticulture suédoise semble très jeune.
K.F.G.A. : Comme beaucoup d’autres pays européens, la vigne est présente en Suède depuis le Moyen Âge. Donc un millier d'années, mais la Suède est réellement devenue un pays viticole en 1999, date à laquelle la réglementation européenne a autorisé à cultiver la vigne et la production de vin.
La viticulture commerciale a été officiellement reconnue par l'UE à partir de l'an 2000 (la même année que le Danemark), et la plupart des producteurs de vin commerciaux ont fondé leur activité depuis cette date.
Le vignoble suédois est actuellement estimé à 100 hectares (alors qu’il n’était que de 8 ha en 2005) que se partagent environ 250 viticulteurs, la plupart cultivateurs amateurs. Seule une cinquantaine de producteurs travaillent professionnellement, et 40 environ produisent du vin disponible dans le commerce. Les exploitations varient de quelques centaines de mètres carrés à 15 hectares. Avec 14 ha, Kullabergs Vingard est donc une très grande exploitation en Suède !
Y a-t-il des collaborations entre viticulteurs, une organisation entre producteurs ?
K.F.G.A. : Tout à fait. Une association suédoise du vin (Föreningen Svenskt Vin) a été créée en 2001. Elle œuvre pour la coopération entre les vignobles et les viticulteurs, ainsi que pour la promotion des vins suédois aux niveaux national et international. Elle organise aussi des cours de formation, publie des manuels pédagogiques, organise des conférences et tente également d'instituer une évaluation formelle de la qualité du vin par des diplômes et des médailles. L’association incite aussi à participer aux concours internationaux.
Il existe également un autre organisme, VitiNord, destiné à promouvoir l'avancement de la viticulture et de l'œnologie dans les environnements nordiques caractérisés par des étés frais ou courts et/ou des hivers froids. Leur activité principale est l’organisation d’une conférence triennale sur ce sujet.
Quels freins rencontrez-vous à l’émergence de cette nouvelle activité en Suède ?
K.F.G.A. : Nous sommes en train de créer un nouveau pays viticole ! Mais tous les producteurs doivent devenir plus compétents, plus professionnels pour savoir gérer différentes situations. La plupart d'entre eux sont très passionnés, mais pas toujours très logiques dans leurs décisions ; les premières vignes, comme dans d’autres pays, n’ont pas été installées au bon endroit.
Nous devons faire un gros travail de connaissance et d’identification des terroirs, et de choix des porte-greffe en fonction des sols. Nous devons développer des formations, renforcer la qualification de nos salariés, nous travaillons déjà avec des conseillers étrangers (allemands, autrichiens…). Nous devons aussi renforcer les contrôles sur la qualité des vins, comme en France ou en Autriche. Certains vins suédois ont des défauts et déçoivent les consommateurs, qui les ont pourtant achetés cher.
Les producteurs doivent donc s'améliorer dans la production, ils doivent être meilleurs et faire des vins plus qualitatifs. Il y a déjà des vins vraiment très bons. Mais certains ont aussi des défauts. C'est très mauvais pour l’image. Nous souhaitons que notre activité soit reconnue et contrôlée par l'Agence suédoise des aliments et de la sécurité et du département de l'agriculture. Sinon, les consommateurs n’achèteront pas nos vins.
Pensez-vous que le vin suédois connaîtra du succès à l'étranger dans les années à venir ?
K.F.G.A. : À l'étranger, nous y sommes déjà ! Nous vendons déjà au Japon, en Norvège, et nous allons être présents au Danemark et dans les autres États de l’Union européenne.
En fait, la commercialisation n’est vraiment pas un problème ! Nous sommes référencés au monopole de distribution de l’État (la commercialisation de l’alcool en Suède est sous contrôle monopolistique de l’État), et nous sommes installés dans une zone très touristique. De plus, les vacanciers viennent visiter, apprendre, déguster, déjeuner chez nous et consomment du vin sur place (les wineries suédoises n’ont à l’heure actuelle pas le droit de vendre à emporter). C’est donc aussi le développement d’une nouvelle forme de tourisme.
Comment voyez-vous la viticulture suédoise dans 20 ans ?
K.F.G.A. : La viticulture suédoise est en expansion, et le changement climatique devrait nous y aider. Ce que les Espagnols ou les Français vont perdre, nous pouvons le récupérer !
Il est probablement possible de planter 10 000 ha dans les années à venir, le long des côtes sud. Ce potentiel devrait permettre de développer de nouveaux domaines, de créer beaucoup de nouveaux emplois en zone rurale. Mais nous allons faire face à deux types de problèmes. Le premier concerne le financement. Tout coûte cher ! Les investissements, les fournitures… Nous produisons des vins chers. Le deuxième problème est lié au changement climatique. Il va nous être favorable, mais il est aussi probable que nous ayons davantage d’accidents comme la grêle, la sécheresse ou de très fortes pluies. C’est en tout cas ce que projettent les météorologues.
L’investissement dans le vignoble pourrait apparaître très risqué si nous étions frappés dans les 20 ans à venir par des phénomènes extrêmes. C’est pour l’heure intéressant. Mais de la même manière que les pays du sud perdent la possibilité de cultiver du raisin, je pense que les pays nordiques continueront à gagner au niveau climatique à court terme, en revanche, à moyen et long terme... il y a aussi un risque !
Concernant notre winery, nous aimerions agrandir la cave et doubler notre superficie de production pour atteindre les 30ha, mais nous souhaitons rester de taille modeste, nous souhaitons privilégier la qualité de nos vins et la valorisation à la quantité et au gigantisme. Nous voulons conserver la vision globale et la main sur l’ensemble des métiers de la winery, nous voulons tout faire nous-mêmes.
Article coécrit avec Lisa Rocherieu Rodriguez, étudiante EPL Bordeaux