Monsieur Terroir a passé le week-end avec sa femme au Salon de Clermont pour vendre ses vins à des clients BtoC[1]. Ils y vont chaque année pour leurs clients fidèles. Ça marche pas mal pour eux… Enfin c’est ce qu’ils croient... Regardons cet exemple de plus près ! Dans les faits, est-ce qu’ils n’y perdent pas leur temps, leur énergie et leur qualité de vie? Est-ce que ce salon est vraiment rentable pour eux?
« Les coûts commerciaux et marketing, on se doute qu’ils sont importants mais on préfère les laisser sous le tapis … »
Pourquoi faut-il prendre conscience de l’enjeu des coûts commerciaux et marketing ?
Les vignerons ont 3 métiers distincts : producteur de raisins, producteur de vin, et vendeur de vin. Chacune de ces étapes à un coût. Or, nombres de producteurs appliquent le syndrome de l’autruche et calculent leurs prix de revient essentiellement sur leurs coûts de production en omettant leurs coûts commerciaux et marketing.
Revenons à notre exemple : Monsieur Terroir et sa femme sont partis avec leur utilitaire chargé de vin jusqu’au toit.
Chiffre d’affaire prévisionnel : 14 000 €. Ils reviennent avec 11 200 €
Viennent ensuite les frais de déplacement (essence, péages, …), d’hôtel, de bouche ; les frais d’inscription et les frais de stand ; les frais des invitations et des brochures pour prévenir leurs clients ; le coût des échantillons dégustés…
« Tant que mon salon coûte moins de 10% de ce qu’il rapporte, je ne regarde pas … »
M et Mme Terroir ont réalisé 500€ de marges durant le week-end. Mais c’est sans compter leur temps de préparation du salon, sur place, et leur temps de finalisation du salon… Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
On aura compris que vendre son vin génère des coûts commerciaux et de mise sur le marché. Faire connaître son vin implique de voyager, ne serait-ce que pour être présent dans les Salons ou pour rencontrer ses importateurs. Et tout cela a un coût. Ramenée à la bouteille, l’incidence de l’ensemble de ces coûts peut varier fortement, en fonction de la taille de la production et des opérations menées.
Selon une étude de Brouard J. 2013 : "Frais de commercialisation du vin" publiée dans Réussir Vigne, les coûts commerciaux et marketing peuvent représenter entre 2 € et 6 € par bouteille. Les vignerons doivent donc intégrer leurs coûts commerciaux et marketing dans les prix de revient pour s’assurer de la cohérence des prix de vente de leurs vins et de la rentabilité des domaines. De plus, des prix mieux calculés en intégrant tous les paramètres de coûts permettront d’être moins sensibles aux aléas de production !
Comment appréhender les coûts commerciaux et marketing, pour vendre les bouteilles à leur juste prix ?
L’existence d’une multitude de canaux de distribution BtoB[2] et BtoC du vin complexifie la détermination des coûts commerciaux et marketing. En effet, si Monsieur Terroir vend ses vins à la propriété ou en CHR[3] (en direct ou via un agent), les coûts commerciaux et marketing seront différents. De même, s’il cède ses vins en GD[4] ou à l’export.
Les coûts commerciaux et marketing sont généralement comptabilisés à tort en frais généraux quand ils le sont, mais sont souvent des coûts cachés et non facturés (comme par exemple les frais du personnel familial donnant un coup de main au caveau). Pour déterminer les prix de revient complets des vins, ils doivent être rattachés aux vins et aux actions de commercialisation concernées. Afin d’atteindre cet objectif les domaines doivent tendre vers une comptabilité analytique par vin, par millésime et par canal.
Cet objectif de comptabilité analytique (utilisée dans la plupart des secteurs) peut paraître utopique pour les domaines viticoles qui ont des ressources limitées.
Une étude de cas (Thouviot S., 2015) réalisée sur une cave coopérative représentative du secteur a permis de définir les données nécessaires à l’analyse des coûts commerciaux et de définir des pistes d’action. L’étude de cas a montré que le diagnostic des coûts de commercialisation doit s’intégrer dans une réflexion globale sur la stratégie, le positionnement produit (coûts de revient complets et la politique tarifaire) et le style de vie des vignerons (équilibre vie privée et professionnelle recherché).
Quelles bonnes pratiques installer?
Les points clés d’attention doivent être :
- Sécurisation de la gestion des stocks et des échantillons : les informations seront utilisées comme un outil d’analyse et pas seulement comme un outil de contrôle.
- Gestion par comptabilité analytique des prix de revient complets : la segmentation des coûts par poste permettra de mettre en place des indicateurs de suivis, et ensuite de les affiner.
- Planification annuelle et la gestion des budgets et des actions marketing afin d’allouer du temps et du budget aux vins et aux canaux de distribution en phase avec la stratégie, et de vérifier a postériori l’efficacité des actions de promotion.
La mise en place de bonnes pratiques de gestion peut faciliter le calcul des coûts de commercialisation. À titre d’exemples, la mise en place de :
- Fiche de suivi des événements (frais, nombre d’échantillons, temps passé en préparation et sur l’événement, coût d’expédition et de retour de échantillons…) qui permet de déterminer la rentabilité d’un événement et de prendre des décisions stratégiques futures (arrêter, adapter, développer…).
- Fiche de temps passé des commerciaux pour mieux allouer les stocks, valoriser les vins et rémunérer les vendeurs.
- Processus projet nouveau produit pour analyser la valeur article par article et valider la pertinence avant de lancer un nouveau vin.
- Outil de pilotage de l’atelier commercialisation pour faciliter l’analyse de la rentabilité par canal de distribution.
Les domaines se créeront ainsi des référentiels internes facilitant la prise en compte des coûts commerciaux et marketing dans le calcul de leurs coûts de revient complets. Les prix de vente pourront être adaptés pour permettre la génération de marges. Celles-ci faciliteront la mise en place de nouveaux produits ou le développement de certains canaux.
En conclusion, toutes ces recommandations ne sont pas exhaustives et dépendent fortement du business model et de la taille de la structure. De plus, le coût d’implémentation de chacune de ces préconisations doit être comparé au gain attendu afin d’adapter les solutions (complexité versus volumétrie).
Enfin, les clés et solutions se trouvent au cœur des entreprises, c’est pourquoi il est fondamental d’écouter les idées des producteurs de vins et de tenir compte de leur vision pour faire évoluer leur système pour appréhender leurs coûts commerciaux.
Commençons donc par un audit de la stratégie !
Sources :
Brouard J, (2013). Comment évaluer vos coûts de commercialisation et marketing ? Vinomarket Bourgogne, 23 janvier 2013 Dijon.
Thouviot S, (2015). (Thouviot S., 2015)Groupe ESC Dijon-Bourgogne - Mastère spécialisé en commerce international des vins et spiritueux - Thèse professionnelle confidentielle
[1] Business to Consumer
[2] Business to Business
[3] Cafés Hôtels Restaurants
[4] Grande Distribution
À propos de Stéphanie Thouviot
Stéphanie Thouviot est une professionnelle de l’audit, de la finance et de la fiscalité, avec une spécialisation en prix de transfert (i.e. audit interne des flux intra-groupes pour protéger les groupes internationaux contre les redressements fiscaux). Bourguignonne et diplômée du mastère spécialisé en commerce international des vins et spiritueux de l'ESC Dijon, elle souhaite faire bénéficier de ses compétences financières, fiscales et audit les entreprises de cette filière qui la passionne. Elle nous propose une étude de cas pour mieux comprendre le poids des coûts de commercialisation dans le vin.