S’adapter, innover, se remettre en question, s’associer, réfléchir à l’avenir, les producteurs ont su réagir aux conséquences de la pandémie. Voici quelques exemples qui prouvent leur dynamisme et leur enthousiasme.
La crise sanitaire, ajoutée au Brexit et aux taxes américaines, a eu des effets dévastateurs dans le monde du vin. La baisse des exportations de vins et spiritueux en 2020 (revenues à leur niveau de 2016) en est un, parmi d’autres… Mais ce coup de massue a aussi mobilisé les énergies et les imaginations, et souvent modifié les stratégies commerciales, avec des perspectives inattendues.
« J’ai accéléré mon implication numérique »
S’adapter, c’est ce qu’a fait Benoît Féry pour la vente de ses champagnes. « La fin d’année est évidemment une période très active. Je travaille beaucoup lors des marchés de Noël de proximité, explique le propriétaire de la maison Féry Bertin, installée à Vrigny (Marne). Sept de ces marchés, où je suis normalement présent, ont été annulés. Je les ai remplacés par dix marchés traditionnels hebdomadaires, qui ont l’inconvénient de ne durer qu’une demi-journée et d’être parfois éloigné de plusieurs centaines de kilomètres du domaine. D’où beaucoup de déplacements et un travail d’installation plus important. J’ai pu maintenir mon chiffre d’affaires en profitant de ces déplacements pour assurer de nombreuses livraisons. Cette crise aura eu quelques mérites, malgré tout. J’ai accéléré le développement numérique de mon entreprise, avec l’amélioration de mon site Internet. Bientôt j’y adjoindrai une boutique en ligne. Et je suis désormais présent sur les réseaux sociaux, mais avec modération ! »
Le spritz à la française est né !
Confiné, on rêve volontiers à de nouveaux horizons et à de nouveaux projets ! C’est l’une des conséquences les plus positives de la pandémie. Cela peut même aller jusqu’à l’élaboration d’un nouveau produit. Comme Pardi, un cocktail occitan associant une liqueur naturelle signée par Aurélien Carrelas, gérant de la marque Kina Karo, et une blanquette de Limoux extra-brute, imaginée par Françoise et son fils Baptiste, de Maison Antech. Pardi sera-t-il le succès de l’été 2021 ? « Nous ferons tout pour, explique Françoise Antech. Notre atout, c’est notre volonté de faire un produit authentique, local, naturel et d’offrir une alternative aux cocktails industriels. En somme, un “spritz à la française”, sans colorants, sans arômes artificiels. L’idée a germé en 2020, mais l’essentiel du travail s’est fait après les dernières vendanges, avec l’aide d’un restaurateur. Après moult dégustations, nous avons trouvé le bon équilibre entre les bulles d’une blanquette délicate et aérienne, et les arômes d’une liqueur de macération née dans les Corbières, l’ensemble se voulant rafraîchissant. »
Ce nouveau cocktail, jouant plus sur l’agrume que sur l’amertume, sera vendu par les cavistes sous la forme d’un pack Pardi, comprenant une bouteille de liqueur Pardi et de deux bouteilles de blanquette Extra-Brut Pardi. C’est l’Occitanie qui profitera, dès le printemps, de ce cocktail. Cinq mille packs de trois bouteilles seront conditionnés pour ce lancement. « Nous nous intéresserons ensuite au marché français, puis à l’export, détaille Françoise Antech. Nous avons eu un plaisir énorme à élaborer ce cocktail. La Covid-19 a permis l’association improbable de deux savoir-faire et nous a offert une aventure que nous n’aurions jamais pu imaginer. »
S’associer pour mieux vendre
Au domaine Val Julius, à Corneilhan (Hérault), c’est en discutant autour d’une bonne bouteille que l’idée a germé dans l’esprit de Julien et Julia Sarda. Le couple gère un domaine de 35 ha. « La crise nous a fait comprendre la nécessité de nouveaux débouchés. Nous avons pensé à un catalogue où nous pourrions associer des amis vignerons et des copains travaillant dans l’épicerie fine, explique Julien Sarda. Ainsi est né un catalogue de produits, avec nos vins et ceux des champagnes Trichet (Marne) et du domaine Montgilet (Maine-et-Loire). Nous y avons ajouté des produits d’épicerie fine réalisés par des amis en Bretagne (la Paimpolaise et l’Ambr’1) et à Corneilhan (Ets Sénégas). Les 500 exemplaires de ce catalogue papier ainsi que sa version numérique ont été envoyés, un peu tardivement par rapport aux fêtes de fin d’année, à des comités d’entreprise et à des collectivités locales. Nous avions la chance de disposer d’un fichier de 10 000 adresses mail. »
Il a fallu bien sûr assurer la trésorerie de ce projet, en particulier pour acheter vins et épicerie des autres producteurs, mais les 11 000 euros de recette ont permis d’équilibrer les comptes. Mieux, cette initiative va être reconduite, car Julien et Julia Sarda sont convaincus de son intérêt. Ils élaboreront désormais deux catalogues par an, un en février, l’autre en automne, avec la même cible, les comités d’entreprise, mais comprenant seulement des vins, « pour simplifier la gestion ».
Des vinottes pour déguster en ligne
Au Syndicat des costières de Nîmes, l’équipe s’est fortement mobilisée pour que les vins de l’AOC restent visibles malgré la pandémie. Comment ? En mobilisant les réseaux sociaux, en publiant des newsletters et en recensant toutes les initiatives des adhérents. « Mais il fallait aller plus loin, détaille Magali Jelila, la directrice. Chaque année, nous recevons des professionnels pour leur faire découvrir nos vins et l’art de vivre à la nîmoise. » L’événement étant impossible, le Syndicat a opté pour une dégustation en ligne, le 5 octobre à 10 heures. Chacun des soixante-quatre participants avait reçu au préalable un coffret contenant 36 vinottes de 20 ml, c’est-à-dire 36 vins de l’appellation, choisis à l’aveugle puis conditionnés par Vinovae, une start-up lyonnaise. « Nous y avions ajouté une terrine de taureau de Camargue, de l’huile d’olive du terroir nîmois et un livret de dégustation. Loin des rendez-vous formels, cette dégustation s’est avérée décontractée et parfaite pour remonter le moral de tous. Nous avons renouvelé l’opération en novembre, avec des professionnels japonais. Ces actions ont été possibles grâce à la mobilisation des vignerons, en particulier Fanny Molinié Boyer (Château Beaubois), en charge de dossiers communication de l’AOC, et Michel Gassier (Château de Nages), qui a coanimé la dégustation. »
Pourtant, rien ne dit que cette initiative, malgré son succès, sera reconduite cette année. Magali Jelila ne souhaite pas s’installer dans la routine. « N’oublions pas que le contact direct avec les clients est irremplaçable. Il n’empêche que cette formule de dégustation a montré de grands avantages pour garder le lien en situation de crise. »
Pas de nouveau produit, pas de « promos » sur les vins ou d’opérations complexes, le Mas Coris à Cabrières a préféré travailler sur des outils déjà à sa disposition. En décidant par exemple d’offrir les frais de port à partir de 80 € d’achat. « Dès le début de la pandémie, nous nous sommes concentrés sur notre site Internet et sa boutique, pour accroître les ventes directes, confirme Véronique Attard, qui exploite ce micro-domaine bio de 4 ha au cœur de l’Hérault. Cela a marché puisque les ventes sont montées en flèche, en particulier pendant le premier confinement. Nous avons constaté une augmentation de 300 % entre mars et avril 2020, avant de retrouver des niveaux plus habituels à partir de l’été. »
Et Véronique Attard de conseiller : « Le plus efficace, c’est d’actionner deux leviers simultanément : d’un côté, un site marchand, réactualisé régulièrement, sur lequel s’appuie un fichier client le plus important et le mieux qualifié possible, de l’autre, un travail de fond sur les réseaux sociaux adaptés. Mais attention, le niveau des ventes en ligne retombe très vite si l’on réduit l’effort. Pour un domaine aux moyens de promotion limités, fidéliser des clients “en ligne” reste difficile. »
Quel bel exemple que cette opération, baptisée « De la bouteille à l’assiette », portée par le groupe des Vinifilles ! Le principe en est simple. Pour chaque achat de 140 € ou plus chez l’un des vignerons participants, le client reçoit un chèque-cadeau de 30 € pour dîner dans l’un des restaurants partenaires. Sur ces 30 €, 18 € sont pris en charge par le vigneron qui a émis le coupon et 12 € par le restaurateur. Lancée pendant le premier confinement, cette chaîne de solidarité a été prolongée jusqu’à la fin de l’année, dans l’attente de la réouverture des restaurants. Mi-février 2021, 105 vignerons étaient inscrits, 102 restaurants référencés et plus de 200 bons avaient été émis. La liste des vignerons et des restaurants concernés figure sur le site dédié www.lbla.fr
Article paru dans Viti Leaders 460 d'avril 2021