Peut-on parler de santé des sols ? Si oui, pourquoi et comment la faire prospérer ? Ces questions ont été abordées par Joséphine Peigné, enseignante-chercheuse à l’Isara-Avignon, lors d’une conférence au dernier Salon Tech & bio. En agronomie, il est plutôt d’usage de parler de fertilité des sols, qui a d’abord été définie par l’aptitude des sols à fournir des éléments minéraux pour la production des plantes, avec une prise en compte progressive d’autres services utiles aux agrosystèmes, comme la régulation des bioagresseurs du sol, le maintien d’une structure favorable...
Puis, la notion de qualité des sols a émergé aux États-Unis, pour mieux prendre en compte les services écosystémiques attendus : favoriser la productivité, mais aussi maintenir la qualité de l’air, de l’eau, la santé et l’habitat humains. Enfin, avec la prise en compte croissante de la biologie des sols, a émergé le concept de santé des sols, dérivé de l’idée que l’ensemble du vivant est interconnecté (concept one health).
La santé d’un sol se définit actuellement comme sa capacité à fonctionner comme un système vivant. En agriculture, la santé d’un sol va être liée à la quantité et à la qualité des organismes vivants qu’il contient, au pool de matières organiques qui fournit leur nourriture et à la structure qui constitue leur habitat.
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Où prélever pour un suivi intelligent ?
Comment évaluer si vos sols sont en bonne santé ? De nombreux indicateurs existent, certains depuis longtemps, comme la granulométrie, le pH, la CEC, etc. D’autres sont plus récents, par exemple la biomasse microbienne. Mais avant de se lancer, « il faut réfléchir comment faire : avec quel outil ? où vaut-il mieux prélever ? à quelle période ? combien de fois ? en fonction de ce qu’on cherche à savoir », souligne Joséphine Peigné, qui vient justement d’éditer un guide gratuit des différents outils utilisables sur le terrain par les agriculteurs, avec Terres Inovia.
En pratique, une combinaison de plusieurs outils est envisageable : un test bêche à la fois sur le rang et dans l’interrang va évaluer l’état de la structure du sol. Si les investigations doivent être plus profondes, un profil cultural donnera en plus des informations sur les horizons inférieurs.
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L’analyse des caractéristiques physico-chimiques sera apportée par des prélèvements à la tarière, tandis que l’activité biologique sera estimée par des bandes de coton enterrées (test du slip) ou des sachets Levabag (pour une méthode standardisée de mesure de l’activité de dégradation des matières organiques pendant 120 jours), par exemple.
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Améliorer la santé des sols
Bonne nouvelle, même si les indicateurs ne sont pas très bons, il est possible d’améliorer la santé des sols. Pour cela, deux leviers principaux : les apports de matière organique et/ou l’implantation de couverts végétaux. Cette amélioration peut même être assez rapide, comme le montre un essai réalisé à partir de 2018 dans les Hautes-Alpes : un semis de mélilot dans un verger de pommiers comparé à un enherbement de graminées a montré des résultats positifs sur la macrofaune seulement deux ans après l’implantation de la légumineuse. Les bandes de coton placées dans l’interrang se sont plus dégradées dans la partie avec le mélilot.
« Nous voyons bien comment la chaîne se met en place, commente Joséphine Peigné. Les couverts favorisent la biologie, qui active la vie du sol. Celle-ci produit davantage d’azote qui est mis à la disposition de la culture et que l’on retrouve d’ailleurs ici dans les arbres. »
Des essais concluants
Dans les vignes aussi, les effets positifs des apports de matières organiques sont démontrés, notamment par le réseau d’essais de longue durée dans plusieurs régions viticoles (Val de Loire, Sud-Ouest, Méditerranée, Beaujolais), coordonné par l’IFV. L’apport de compost de déchets verts ou d’engrais organiques du commerce, tous les 2 ans ou tous les 4 ans a été comparé à un témoin sans apport organique.
Résultats : entre 2009 et 2017, sur l’horizon 0-15 cm, le témoin a perdu de la capacité d’échange cationique (CEC), du potassium et du phosphore, tandis que les modalités avec apports organiques ont vu leur CEC augmenter, de même que le pH, les teneurs en carbone et en éléments minéraux. La matière organique vivante mesurée en 2019 est largement supérieure au témoin dans les quatre modalités. Les résultats sont équivalents sur l’ensemble du réseau, avec un effet plus prononcé là où les apports ont été les plus élevés.
Nématodes et vers de terre plus nombreux
Plus récemment, l’IFV a suivi un apport de paille dans les vignes en Beaujolais pour diminuer les herbicides, mais qui a confirmé l’impact très positif de cette matière organique sur la vie du sol : à raison de l’équivalent de 15 t/ha de paille, les micro-organismes du sol, les nématodes et les vers de terre sont plus nombreux, surtout après 2 ans d’apport. Aucune faim d’azote n’a été notée sur les vignes, de même qu’aucun impact sur le rendement ou la qualité des raisins.
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De nombreuses formes de matières organiques existent. Avec la généralisation du recyclage des déchets alimentaires, les biodéchets sont une ressource appelée à se développer. L’Isara teste depuis 2 ans l’apport de vermicompost, de digestat et de compost de biodéchets urbains sur une parcelle en grandes cultures, près de Lyon. Après 2 ans d'apports, aucun effet n’a été mis en évidence sur la rétention en eau et la teneur en MO des sols, mais une augmentation significative des teneurs en K et P a été notée. Le vermicompost a, en plus, augmenté les teneurs en Ca et Mg. Seul le vermicompost a permis de maintenir un niveau de lombiciens adultes supérieur au témoin.
Au final, différents leviers existent pour améliorer santé du sol. Mais le choix des techniques et des matières est à adapter à chaque situation, en fonction des indications données par les différents outils de diagnostic.
Résultats du projet Ecovitisol en Alsace et Bourgogne : 44 % des sols viticoles en bonne santé
La santé des sols viticoles d’Alsace et de Bourgogne n’est pas mauvaise, mais à surveiller : c’est l’un des enseignements du projet Ecovitisol, une étude à grande échelle sur l’état physico-chimique et microbiologique des sols, conduite par l’Inrae et impliquant 145 viticulteurs entre 2019 et 2021. Si 44 % des parcelles ont été jugées en bon état microbiologique, 35 % sont dans un état non critique, mais à surveiller, et 20 % en mauvais état.
L’étude a mis en évidence l’effet bénéfique des apports de matière organique, de la restitution des sarments et de l’enherbement. Ce dernier stimule plus efficacement la microbiologie du sol que les apports de matière organique exogène. Plus il est diversifié et pérenne, plus il agit.
La biodynamie plus stimulante que la viticulture biologique ou conventionnelle
L’étude souligne également que la biodynamie a un effet plus stimulant sur la microbiologie des sols que la viticulture biologique ou conventionnelle. Les réseaux microbiens y sont plus complexes, ce qui indique une meilleure fonctionnalité et une meilleure capacité à résister à des perturbations.
Le projet Ecovitisol 2.0 a été lancé en Provence en 2022.