Les premières variétés résistantes et typiques sont prévues en 2028

Dans les dix ans à venir, les programmes de création variétale français vont aboutir à une trentaine de nouvelles variétés de vignes résistantes au mildiou et à l’oïdium, dont certaines auront été sélectionnées pour « ressembler » aux cépages emblématiques français. En parallèle, les chercheurs préparent des outils modernes de sélection.

Castration manuelle des fleurs de vigne.

Le processus de création variétale demeure encore largement manuel. Ici, les étamines des géniteurs femelles sont enlevées quelques jours avant la floraison, pour éviter une auto-fécondation. 

© IFV

Alors que dix cépages emblématiques1 représentent 70 % des surfaces viticoles, l’encépagement français va-t-il retrouver de la diversité à l’avenir ? Le choix de variétés résistantes à la disposition des vignerons a en tout cas déjà commencé à s’ouvrir, avec l’inscription de quatre variétés Inrae-Resdur 1 en 2018 (artaban, vidoc, floréal, voltis) et cinq Inrae-Resdur 2 (selenor, opalor, coliris, lilaro et sirano) en 2022. Sans compter les variétés d’origine étrangère ou privée.

Et le mouvement va s’accélérer : dans les dix ans à venir, une trentaine de nouvelles variétés résistantes issues de la recherche française vont arriver au catalogue. Après Calys et Exelis inscrites au printemps 2024, une dernière variété Inrae-Resdur 2 devrait suivre prochainement. Et cinq à dix variétés Inrae-ResDur 3, obtenues avec l’Agroscope de Changins (Suisse), sont attendues à partir de 2026. Ces dernières combineront trois facteurs de résistance contre le mildiou (Rpv1, Rpv3, Rpv10) et trois contre l’oïdium (Run1, Ren3, Ren9). Un pyramidage qui favorise une résistance durable.

Typicité régionale

Par la suite, les 12 programmes régionaux de création variétale vont commencer à produire leurs résultats. Ces programmes ont été lancés avec les interprofessions et/ou acteurs des filières régionales à la suite d'une demande des vignerons. L’ambition est de créer des variétés qui se rapprochent des cépages emblématiques.

26 cépages de cuve ont été choisis en fonction de leurs intérêts en tant que géniteurs ou des informations dont on dispose sur leur généalogie. Par exemple, le vidal 36 fait partie de la sélection notamment parce qu’il présente une bonne résistance au black-rot. Le cabernet franc a été retenu plutôt que le merlot, car c’est l’un de ses parents…

Inflorescence pollinisée

Avec le pollen récupéré sur le géniteur mâle, les chercheurs pollinisent les inflorescences sept jours de suite.

© IFV

Des croisements avec des géniteurs pyramidés pour les résistances au mildiou et à l’oïdium, issus des travaux de l’Inrae et de l’IFV, ont été réalisés, générant près de 3.000 individus résistants au mildiou à l’oïdium.

Dans plusieurs régions, telle que la Champagne, Bordeaux, la vallée du Rhône ou Cognac, ces programmes arrivent actuellement en phase d’essais VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale) et DHS (distinction homogénéité stabilité), c’est-à-dire que 180 souches par variété sont plantées, observées et vinifiées pour mesurer leur valeur agronomique, technologique et environnementale et s’assurer que la variété est distincte, homogène et stable. « Les premières inscriptions devraient donc advenir à partir de 2028 jusqu’à 2035, avec un pic en 2030 », résume Loïc Le Cunff, généticien, qui réalise les croisements à l’IFV et suit l’ensemble des programmes.

De nouveaux outils pour aller plus vite

Le programme le plus avancé est celui conduit dans la région de Cognac, en collaboration avec l’entreprise Martell, le conservatoire du vignoble charentais (CVC), le BNIC, l’IFV et Inrae. Non pas parce qu’il a débuté plus tôt, mais parce qu’il a bénéficié de nouveaux outils de sélection génomique afin de trier les plants issus de pépins. « La méthode, plus rapide et largement utilisée pour d’autres productions agricoles, a été appliquée pour la première fois à la vigne à cette occasion », poursuit-il.

Huit individus sélectionnés à l’aide de la génomique et douze sélectionnés par la méthode classique sont actuellement en VATE. Les résultats préliminaires de dégustation d’eaux-de-vie, obtenues grâce à des micro-alambics développés par le CVC, sont plutôt positifs. Sur les huit individus sélectionnés avec la génomique, six correspondent à la demande.

Jeunes plants de vigne issus de pépins

Les jeunes plants issus de pépins vont devoir être testés pour vérifier s'ils ont acquis la résistance au mildiou et à l'oïdium. 

© IFV

Risques de contournement

Le danger de la stratégie des variétés résistantes réside dans le possible contournement de la résistance par les pathogènes. De fait, à la suite de la découverte de dégâts de mildiou sur une première parcelle résistante en juin 2024 dans le Gard, les chambres d’agriculture ont mené une enquête plus approfondie sur 155 parcelles plantées avec 32 variétés résistantes. Résultat : des dégâts de mildiou ont été observés sur neuf parcelles, avec des pertes de rendement allant jusqu’à plus de 30 % dans six cas sur artaban, vidoc, cabernet volos et sauvignon rytos.

Des prélèvements ont été effectués et envoyés à l’Inrae de Bordeaux pour vérifier l’origine de cette situation. Une population de mildiou ayant contourné la résistance est-elle apparue ? Cette situation est-elle liée à la pluviométrie et aux conditions parcellaires extrêmement humides ? Par précaution, il a été recommandé d’appliquer des traitements supplémentaires, pour éviter la dissémination de populations potentiellement contournantes. Les résultats de l’Inrae sont attendus durant l’automne.

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Le pyramidage des gènes au sein d’une variété de vigne constitue une première stratégie contre le contournement. « La surveillance et les traitements sont aussi indispensables, car nous savons que les résistances utilisées actuellement sont toujours partielles vis-à-vis du mildiou », rappelle Loïc Le Cunff. Selon lui, cet événement ne remet pas en cause l’intérêt des variétés résistantes. Des contournements sont déjà connus sur Regent ou Bianca depuis les années 2010. Une érosion significative de la résistance à l’oïdium conférée par Ren3 et Ren9 a aussi été mise en évidence en Europe. Mais contournement ne veut pas dire épidémie.

En Allemagne, le contournement de Rpv3.1 dans la variété Regent n’a pas ramené sa résistance à zéro à grande échelle. « Si on devait traiter une variété non résistante à 100 % et une variété résistante à 10 %, une variété contournée peut, en fonction des conditions locales et de son fond génétique, subsister avec un niveau de traitement de 50-60 %, ce qui représente toujours une source d’économie et une plus-value environnementale », compare Komlan Avia, chargé de recherche à l’Inrae Colmar.

D’autres formes de résistance à tester

Bien conscients du risque, les chercheurs étudient de nouvelles pistes de recherche, notamment dans GrapeBreed4IPM, un projet financé par l’Union européenne. Dans ce projet, une vingtaine de partenaires dans sept pays européens vont rechercher de nouveaux facteurs de résistance, pour diversifier encore les sources. Pour l’instant, une trentaine de facteurs de résistance ont été identifiés pour le mildiou, une quinzaine pour l’oïdium. Seulement trois pour le black-rot, avec une efficacité partielle. « Nous savons déjà que nous aurons de nouveaux facteurs de résistance au black-rot à incorporer dans de nouvelles variétés », indique Komlan Avia, qui coordonne le projet.

Autre axe du projet : utiliser de nouvelles voies de résistance. « Jusqu’à présent, nous avons incorporé des gènes majeurs, plus faciles à travailler, mais aussi plus faciles à contourner pour les pathogènes, continue le chercheur. Nous allons maintenant travailler sur l’ARN interférent, la résistance récessive, la résistance quantitative et étudier si nous trouvons des marques épigénétiques de résistance. » Ces autres formes de résistance sont plus difficiles à intégrer dans les nouvelles variétés, mais elles sont aussi plus difficiles à contourner et devraient donc donner des résistances plus durables.

Enfin, une équipe italienne va utiliser les nouvelles techniques génomiques (NGT) pour tenter d’intégrer une résistance dans quelques cépages emblématiques sans toucher à la typicité. Doté d’un budget de 5,6 M€ de budget, GrapeBreed4IPM est prévu pour quatre ans. La course entre les maladies et la vigne est loin d’être terminée.

(1) Merlot, ugni blanc, grenache, syrah, chardonnay, cabernet-sauvignon, cabernet franc, carignan, pinot noir, sauvignon blanc.

La sélection génomique, c’est quoi ?

Utilisée pour la première fois sur vigne à Cognac, la sélection génomique permet de gagner du temps lors de l’étape de tri des pépins.

La sélection génomique repose sur le recueil de données génétiques et phénotypiques fines d’une population dite « de calibration ». Grâce à des modèles mathématiques, le lien est effectué entre les deux types de données, ce qui va produire un modèle de prédiction.

Lorsqu’une population sera candidate à la sélection, il suffira d’obtenir ses données génétiques (rapides à acquérir par analyse) pour prédire son comportement au vignoble, grâce au modèle calibré sur la population de référence, sans attendre des années de croissance et la mise à fruit des plants pour pouvoir mesurer leurs caractéristiques d’intérêt.

À partir des données prédites, les meilleurs génotypes seront triés et envoyés directement dans le processus réglementaire d’inscription.

La sélection génomique permet de gagner du temps, mais aussi d’évaluer davantage de matériel végétal et de diminuer les coûts de sélection.