
Les Piémontais – et les autres – cherchent à assurer la production de pâtes alimentaires en stimulant la culture de blé dur en Italie. Question de souveraineté mais aussi de protection contre les aléas des marchés d'approvisionnement.
© Artem - stock.adobe.comQue ce soit un plat d'agnolotti, ces pâtes fraîches rectangulaires farcies d'un mélange d'épinard, de bœuf braisé, d'œuf, de parmesan et de jambon cuit haché typiques du Piémont, de bigoli in salsa (en forme de tubes épais) comme à Venise, ou de pasta à la Norma, faite d'aubergines, de ricotta et de tomates, en Sicile, les pâtes, dont l'origine est disputée, sont l'un des emblèmes de la cuisine italienne.
Une production en dessous des besoins
Oui mais voilà. Si l'Italie avait, en 2022, plus de 3.500 fabricants ayant produit un total de 3,5 Mt de pâtes (dont plus de 2 Mt pour l'exportation, à 65 % en Europe), le pays n'a produit qu'environ 3,8 Mt de blé dur la même année, alors que ses besoins sont de l'ordre de 5,5 Mt. Il a donc dû en importer, du Canada et de France principalement.
Envolée des cours
La situation n'est pas nouvelle, mais la guerre en Ukraine a changé la donne. Sous l'effet de tensions sur le marché, les cours se sont envolés en Italie comme dans le reste de l'Europe. Même plus calmes, ils restent élevés, sur les niveaux de 300 euros la tonne (rendu Port-la-Nouvelle, en France) et à 335 euros à Bologne actuellement.
Seule solution : relocaliser
Entre risques de pénurie et prix exorbitants (+ 30 % au plus fort de la crise inflationniste), pour des Italiens champions de la consommation de pâtes (avec plus de 25 kg par personne et par an, le record européen, contre 8,3 kg pour les Français), une seule solution : l'autonomie. Et donc la relocalisation de la production de blé dur, à l'image de la France, d'autant que les exploitants agricoles ont été stimulés par la hausse des cours.
Les surfaces cultivées, qui avaient baissé, remontent
Il était temps. La production avait en effet reculé ces dernières années, passant de 4,14 Mt en 2018 à seulement 3,8 Mt en 2022. Si de moindres rendements peuvent être responsables de cette contre-performance, il n'empêche. Selon les chiffres de l'Ismea (I'Institut – italien – des services pour le marché agroalimentaire), ce sont aussi les surfaces cultivées en blé dur qui expliquent le phénomène.
Elles sont passées d'1,28 million d'hectares en 2018 à 1,21 en 2020. Pour, de fait, remonter à 1,24 million d'hectares en 2022 (dernières statistiques connues). Et, selon les observateurs, la tendance se poursuit aujourd'hui.
La Russie et la Turquie se positionnent
Cette nouvelle production locale a-t-elle de quoi pénaliser la France dans ses exportations ? Sans doute. D'autant que la Russie et la Turquie se positionnent aussi sur le marché du blé dur en Europe et en particulier en Italie depuis quelques mois...
Innovation et recherche sur les semences
Pour conserver la production, les Piémontais (et les autres producteurs italiens de blé dur) misent sur l'innovation et en particulier sur la recherche en matière de semences. Elles doivent être résistantes aux effets du dérèglement climatique, offrir de bons rendements et une qualité supérieure. D'où, en plus d'appels à des limitations européennes sur les exportations russes et à des aides pour protéger les producteurs italiens, de nouveaux programmes de recherche sur la reproduction de semences, dont l'un est à l'université de Turin. Ces programmes s'appuient aussi bien sur de nouvelles techniques que sur le réservoir de variations génétiques largement inutilisées et stockées dans les anciens cultivars et les variétés locales.
Accroître le leadership du Piémont
Le but, au-delà d'assurer la souveraineté alimentaire du pays, est aussi d'accroître le leadership du Piémont en matière de production et d'exportations agroalimentaires. Déjà, la région représente près de 15 % du total des exportations agroalimentaires italiennes.
Autant dire que si le Piémont est avant tout associé, dans l'imaginaire collectif, à l'industrie automobile, il faut aussi se souvenir que Ferrero, géant mondial de la confiserie (Nutella, Mon Chéri, Rocher, Kinder, etc.), a été fondé en 1946 dans une petite pâtisserie à Alba, près de Turin. Et que, plus récemment, en 2007, Oscar Farinetti, également natif d'Alba, a ouvert, à Turin, son premier Eataly, grand magasin dévolu à la gastronomie italienne et à la « slow food ». Concept qui a ensuite fleuri à l'international, de New York à Paris.