« Il ne faudrait pas que l'énergie vienne déréguler ce que l'agriculture a mis des années à réguler ! » s'est exclamé Bruno Vila, président de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Pyrénées-Orientales (FDSEA 66), lors des premières Rencontres de l'agrivoltaïsme, qui se sont tenues à la fin du mois dernier à Paris.
Certes, la loi d'accélération des énergies renouvelables (promulguée le 10 mars 2023) vise à les encadrer. De même, un nouveau décret (n° 2024-318, publié le 9 avril 2024), à la suite d'un premier, en 2023, a défini précisément ce que doit être l'agrivoltaïsme.
Attention au risque de spéculation
Le texte souligne ainsi l'importance de continuer à utiliser les terres pour l'agriculture tout en y installant des panneaux photovoltaïques. L'article R. 314-114 précise notamment que les projets doivent non seulement améliorer la qualité du sol, mais aussi, idéalement, augmenter ou au moins maintenir les rendements agricoles locaux, ou réduire leur baisse.
« Mais il s'agit de faire cohabiter les deux », poursuit Bruno Vila. Il s'inquiète en particulier d'un risque de spéculation, si des énergéticiens proposent de payer la terre, sous forme de loyer, voire d'achat, à un prix supérieur au tarif de marché pour l'hectare ou le loyer, « comment les jeunes pourront-ils avoir accès à la terre et s'installer ? » se demande-t-il.
Si l'une des solutions passe par le partage de la valeur, dossier sur lequel travaille Pascal Lecamp, député de la Vienne, une autre, sur laquelle il planche également, vise à faire évoluer le bail rural pour mieux y intégrer l'agrivoltaïsme.
Les limites actuelles du bail rural
De fait, le bail rural, créé en 1945, est strictement encadré, mais il présente aujourd'hui des limites pour la mise en œuvre d'installations agrivoltaïques. D'une part, la rigueur des clauses ne va pas dans le sens du besoin de liberté des projets agrivoltaïques, et d'autre part, la durée imposée est un frein, puisqu'il est difficile de faire correspondre celle du projet (jusqu'à 40 ans) avec celle du bail.
Enfin, précisait Franck Menonville, sénateur de la Meuse et auteur, avec plusieurs de ses collègues, d'une proposition de loi pour un bail rural à clauses agrivoltaïques – texte intégrant des dérogations spécifiques à l'agrivoltaïsme déposé au Sénat en septembre 2024 –, « le loyer est payé par l'agriculteur au profit du propriétaire, alors que dans un contrat agrivoltaïque, le producteur rémunère l'agriculteur ».
Un contrat tripartite
Selon Pascal Lecamp, il faudrait un texte instituant un contrat tripartite liant l'énergéticien, l'exploitant et le propriétaire, le tout associé à l'alimentation d'un fonds pour la transition. Une façon d'aider tous les agriculteurs, même ceux qui, compte tenu des caractéristiques de leurs terres, ne pourront pas accueillir de panneaux photovoltaïques.
Mais avec ce nouveau contrat tripartite, « le but est avant tout de sécuriser l'agriculteur, puisque l'énergéticien peut, s'il le veut, changer de partenaire agricole », explique le député.
Des freins supplémentaires
Cette situation, encore indécise sur le bail rural, a-t-elle de quoi ralentir les ardeurs, en particulier des exploitants agricoles, en mal de revenus ? Peut-être. Mais d'autres éléments expliquent aussi que les projets, certes existants, ne sont pas très nombreux pour l'instant.
En fait, les estimations en ce qui concerne leur nombre sont aléatoires, selon que l'on prend ceux qui sont déjà validés, en cours d'instruction ou en gestation et répondant ou non aux critères fixés par le nouveau décret... Ils seraient cependant de l'ordre de 1.000 actuellement, voire plus, alors qu'en 2022, l'Agence de la transition écologique (Ademe) en dénombrait 167, pour une capacité d'1,3 GW, et en comptabilisait quelque 200 en 2024. « À la fin de la décennie, nous devrions avoir plusieurs milliers de projets », avance cependant Maxime Cumunel, délégué général de l'association France Agrivoltaïsme.
Reste que si de nombreux développeurs de projets se sont positionnés sur le créneau et sollicitent les exploitants agricoles, au point qu'il « n'y a presque plus aucun agriculteur en France qui n'ait été contacté au moins une fois pour un projet photovoltaïque », remarque Arnaud Pasquet, fondateur du cabinet de conseil Solaire Conseil, des freins subsistent.
Casse-tête administratif
Au-delà du traditionnel enjeu d'acceptabilité locale, de la part des riverains d'une parcelle agricole qui accueillerait une telle initiative, en raison, notamment, de « perturbations visuelles », les projets d'installation sont soumis à diverses approbations et permis.
De la part de la Commission départementale de préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers, et, lorsqu'il s'agit de plus d'un hectare de terre agricole (soit plus de 1 MW produit), de la part de la préfecture pour la construction. « Autant d'aspects qui butent sur le manque d'effectifs pour instruire les dossiers au sein des administrations impliquées, relève Arnaud Pasquet. La loi d'accélération ne porte pas nécessairement bien son nom, mais elle a été rendue nécessaire face au far west des pratiques commerciales. »
Pour Audrey Juillac, présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques, ce n'est pas tant le manque de personnel administratif qui freine les dossiers agrivoltaïques, c'est le fait que la loi est très récente et manque encore de lignes directrices pour son interprétation.
Des philosophies disparates
En outre, « avant la loi, certains départements avaient déjà développé leur propre philosophie sur le sujet, les uns en privilégiant un type de technique, par exemple, les autres en étant très stricts sur le versant agricole, ce qui crée de la confusion – la loi, qui doit s'appliquer également à tous, n'étant pas interprétée de la même façon partout », avance-t-elle.
De quoi engendrer des délais... et des déconvenues. D'autant qu'entre l'évaluation de faisabilité, les négociations et la signature du bail, le développement du projet, la demande de permis de construire, celle de raccordement auprès du gestionnaire de réseau et la construction, il faut déjà compter, en moyenne, entre 5 et 7 ans d'efforts pour qu'un projet soit mené à bien.
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