
À l'horizon 2050, les autorités françaises espèrent atteindre 100 GW annuels, en multipliant en conséquence par cinq la capacité photovoltaïque installée.
© enzo - stock.adobe.comSelon un rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne, publié en 2023, il suffirait de couvrir 1 % seulement (soit 157.621 hectares) de la surface agricole utile sur le Vieux Continent pour dépasser largement les objectifs européens en matière de production d'électricité renouvelable grâce au photovoltaïque en 2030.
En effet, si c'était le cas, l'agrivoltaïsme, qui consiste à associer sur un même site une production agricole et, de manière secondaire, une production d'électricité par des panneaux solaires photovoltaïques, représenterait une capacité installée de 944 GigaWatt (GW), alors que la stratégie solaire de l'Union européenne (UE) vise à livrer 320 GW issus du photovoltaïque en 2025 et 590 à horizon 2030. Or, à la fin 2022, la capacité photovoltaïque installée (toutes surfaces confondues) dans l'UE ne représentait que 211 GW.
Quant à la France, la puissance de son parc photovoltaïque (toutes surfaces confondues) atteignait 15,8 GW à la fin septembre 2022. En 2023, de nouvelles installations ont permis d'ajouter 3 GW supplémentaires. Les autorités françaises entendent encore accélérer, pour atteindre 6 GW annuels en plus d'ici 2025. Et à l'horizon 2050, elles espèrent atteindre 100 GW au total, en multipliant en conséquence par cinq la capacité photovoltaïque installée.
« Ce qui ne représente, si l'on prend comme référence la surface moyenne des exploitations agricoles et le fait qu'un hectare produit environ 1 MW, que 0,2 % ou 0,5 % de la surface agricole utile en France », relève Audrey Juillac, agricultrice et présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques. La France ne sera donc pas constellée de panneaux solaires !
« En fonction des caractéristiques de l'exploitation agricole ou du territoire, il n'y aura pas de projets partout, relève à cet égard Maxime Cumunel, délégué général de l'association France Agrivoltaïsme, mais je pense que nous atteindrons les objectifs fixés en matière de production. »
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Un nouveau dispositif législatif
Pour dynamiser la production d'énergies renouvelables, la France s'est dotée d'une loi (loi d'accélération des énergies renouvelables nᵒ 2023-175, promulguée le 10 mars 2023), qui a d'abord mis l'accent sur les terrains affectés par l'activité humaine : parkings, bâtiments, terrains délaissés près d'axes routiers ou ferroviaires.
Interrogée, EDF Renouvelables souligne toutefois que si, jusqu'à présent, « les sites ayant déjà accueilli une activité humaine ont été privilégiés pour le développement des centrales solaires au sol, ils se raréfient ». Pour ajouter : « La définition d'un cadre réglementaire était attendue et va dans le sens de ce qui était défendu par EDF Renouvelables : la loi insiste sur le maintien de l'activité agricole significative sur la parcelle et sur le service rendu par le projet agrivoltaïque. »
En effet, un nouveau décret (n° 2024-318, publié le 9 avril 2024), à la suite d'un premier, en 2023, a défini ce que doit être l'agrivoltaïsme. Le texte souligne ainsi l'importance de continuer à utiliser les terres pour l'agriculture tout en y installant des panneaux photovoltaïques. L'article R. 314-114 précise notamment que les projets doivent non seulement améliorer la qualité du sol mais aussi, idéalement, augmenter ou au moins maintenir les rendements agricoles locaux, ou réduire leur baisse.
Tout est prêt ?
Grâce à ce nouveau cadre, on pourrait donc penser que tout est prêt pour que l'agrivoltaïsme prenne son envol. D'autant que la pratique est de nature à offrir de nouvelles opportunités économiques aux agriculteurs en mal de revenus. Les projets se sont-ils multipliés ?
En fait, les estimations en ce qui concerne leur nombre sont aléatoires, selon que l'on prend ceux qui sont déjà validés, en cours d'instruction ou en gestation et répondant ou non aux critères fixés par le nouveau décret... Ils seraient cependant de l'ordre de 1.000 actuellement, voire plus, alors qu'en 2022, l'Agence de la transition écologique (Ademe) en dénombrait 167, pour une capacité de 1,3 GW, et en comptabilisait quelque 200 en 2024. « À la fin de la décennie, nous devrions avoir plusieurs milliers de projets », avance Maxime Cumunel.
Reste que si de nombreux développeurs de projets se sont positionnés sur le créneau et sollicitent les exploitants agricoles, au point qu'il « n'y a presque plus aucun agriculteur en France qui n'ait été contacté au moins une fois pour un projet photovoltaïque », remarque Arnaud Pasquet, fondateur du cabinet de conseil Solaire Conseil, des freins subsistent, sans parler de quelques dangereuses dérives (voir encadré).
Casse-tête administratif
Au-delà du traditionnel enjeu d'acceptabilité locale, de la part des riverains d'une parcelle agricole qui accueillerait une telle initiative, en raison, notamment, de perturbations visuelles, les projets d'installation sont soumis à diverses approbations et permis. De la part de la Commission départementale de préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers, et, lorsqu'il s'agit de plus d'un hectare de terre agricole (soit plus d'1 MW produit), de la part de la préfecture pour la construction.
« Autant d'aspects qui butent sur le manque d'effectifs pour instruire les dossiers au sein des administrations impliquées, relève Arnaud Pasquet. La loi d'accélération ne porte pas nécessairement bien son nom, mais elle a été rendue nécessaire face au far west des pratiques commerciales. »
Pour Audrey Juillac, ce n'est pas tant le manque de personnel administratif qui freine les dossiers agrivoltaïques, c'est le fait que la loi est très récente et manque encore de lignes directrices pour son interprétation. En outre, « avant la loi, certains départements avaient déjà développé leur propre philosophie sur le sujet, les uns en privilégiant un type de technique, par exemple, les autres en étant très stricts sur le versant agricole, ce qui crée de la confusion - la loi, qui doit s'appliquer également à tous, n'étant pas interprétée de la même façon partout », avance-t-elle.
Audrey Juillac, agricultrice et présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques.
De quoi engendrer des délais - et des déconvenues. D'autant qu'entre l'évaluation de faisabilité, les négociations et la signature du bail, le développement du projet, la demande de permis de construire, celle de raccordement auprès du gestionnaire de réseau et la construction, il faut déjà compter, en moyenne, entre cinq et sept ans d'efforts pour qu'un projet soit mené à bien.
>>> Lire aussi : Un arrêté fixe les conditions d'implantation et de contrôle des installations agrivoltaïques
Quand le réseau électrique sature
À cela s'ajoute la capacité des infrastructures électriques à accueillir cette nouvelle production d'énergie renouvelable. Chaque département français dispose d'une vingtaine de postes de raccordement (ou postes-sources, avec un total, pour l'ensemble du territoire, de 2.700 postes), faisant le lien entre les lignes à très haute tension et les lignes locales, autrement dit, entre RTE, le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité, qui assure l'accès à une alimentation électrique, et la société Enedis (filiale à 100 % d'EDF), chargée de la gestion et de l'aménagement de 95 % du réseau de distribution d'électricité en France, ou quelques entreprises de distribution locales. Le tout assorti, logiquement, d'une priorité donnée à l'électricité la moins chère à produire – les renouvelables, en l'occurrence, par opposition au nucléaire.
Mais lorsque le renouvelable s'emballe, la situation se complique, comme cela a été le cas à l'été 2024, période pendant laquelle la RTE a dû débrancher à deux reprises des installations renouvelables (parcs éoliens et fermes photovoltaïques) pour éviter des failles sur le réseau – qui n'était plus capable d'absorber une telle production... Plus facile, en effet, que d'arrêter d'un coup une centrale nucléaire. Et difficile de piloter finement les énergies renouvelables et de les stocker.
« Alors qu'on a déjà des difficultés à accueillir les énergies renouvelables additionnelles sur le réseau, si l'on en produit davantage d'ici 2030, on va dans le mur, tranche Arnaud Pasquet. Certes, il est prévu de le moderniser pour accroître de 50 % sa capacité d'absorption, mais cela ne suffit pas si l'on veut, en parallèle, multiplier par cinq la capacité solaire installée. » Autant de limites qui illustreraient selon lui les contradictions de l'État en matière de promotion des énergies renouvelables.
Toujours est-il que des investissements lourds seront nécessaires pour concrétiser la vision des autorités françaises. « Même si la programmation énergétique intégrant les nouveaux objectifs européens et français va rendre ces valeurs rapidement caduques, selon l'article L. 100-4 du Code de l'énergie, la part des énergies renouvelables dans le mix de production électrique doit atteindre 40 % en 2030 (contre 32 % aujourd'hui et 67 % de nucléaire), la loi Grenelle II (juillet 2010) a confié à RTE, en accord avec les gestionnaires de réseau de distribution, l'élaboration des Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), explique Mathias Laffont, délégué général adjoint de l'Union française de l'électricité (UFE). Le but est d'évaluer les besoins pour dimensionner, localement, les investissements en conséquence. Et aujourd'hui, les gestionnaires de réseaux se mettent en ordre de marche pour renforcer le réseau avant les projets. Il est même possible de réserver des capacités en vue de la mise en place à venir d'un projet. » Selon les estimations, les investissements, sous la houlette de la Commission de régulation de l'énergie, qui les valide, devraient s'élever à un total de quelque 100 milliards d'euros sur 15 ans.
Mathias Laffont, délégué général adjoint de l'Union française de l'électricité.
Mieux consommer de l'électricité
Si l'argent viendra essentiellement des factures payées par les consommateurs, faut-il, en outre, remettre en cause le dispositif de soutien aux énergies renouvelables ? Après tout, lors des pics de production, si les installations sont débranchées, les producteurs continuent d'être rémunérés (sous la forme d'une indemnité). En fait, répond Mathias Laffont, « il ne s'agit pas de moduler les aides, mais de moduler la consommation » – en plus d'accroître la demande en électrifiant davantage les activités, dans l'industrie, les transports, l'agriculture... « Il faut surtout déplacer les moments de consommation », enchaîne-t-il.
Alors que les ménages ont pris, pour certains, l'habitude de faire tourner la nuit certains appareils (machine à laver, lave-vaisselle ou recharge de batterie pour un véhicule électrique ), « mieux vaudrait donner un signal prix pour que la consommation se déplace en début d'après-midi, lorsque le soleil est à son zénith et que la production d'électricité photovoltaïque fonctionne à plein régime », dit-il.
Il faut donc jouer sur la flexibilité de la demande et rechercher une nouvelle forme d'optimisation. Bref, il faut consommer mieux. Enfin, ajoute l'expert de l'UFE, outre les investissements nécessaires et la nouvelle responsabilité des consommateurs, « les autorités de marchés devraient lancer de nouveaux contrats à terme, pour couvrir les plages de 11 heures à 16 heures, et faire en sorte que les professionnels aient des outils de protection à leur disposition ».
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit en aucun cas de dissuader les producteurs d'énergies renouvelables en général et, avec l'agrivoltaïsme, les agriculteurs en particulier. D'ailleurs, ces derniers semblent de plus en plus intéressés par la pratique, promesses agronomiques qui y sont attachées incluses. « Au nom, en particulier, de la pérennité de l'exploitation et de sa transmission, déclare Maxime Cumunel. Mieux encore, malgré la mode, ils font preuve aujourd'hui de davantage de maturité et de discernement. » Un gage de réussite, dans le rôle qu'ils savent avoir à jouer pour la transition environnementale.
Attention aux fausses promesses
Profiter d'une ressource gratuite – le soleil – pour produire de l'électricité qui sera vendue, souvent à un prix fixé à l'avance sur plusieurs années, ressemble à une véritable martingale. Pas étonnant que de nombreux développeurs se soient engouffrés dans la brèche ! Reste que pour un agriculteur, un engagement de 40 ans dans un projet d'agrivoltaïsme ne se prend pas à la légère.
D'autant qu'au sein de la communauté de développeurs – plusieurs centaines – se sont glissés quelques margoulins. « Ceux qui promettent un revenu de 15.000 euros l'hectare et par an, par exemple, alors que c'est plutôt entre 2.000 et 4.000 », relève Audrey Juillac, la présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques.
« Ceux qui collectionnent les promesses de bail, sans pour autant envisager un réel projet agrivoltaïque, renchérit Arnaud Pasquet, fondateur du cabinet de conseil Solaire Conseil. Ils s'assurent ainsi le choix entre différents terrains pour le développement le plus rentable pour eux. En outre, cette collection de promesses de bail permet d'accroître la valeur de leur entreprise, puisqu'elles correspondent à des hectares “sécurisés” – et commercialisables. Car oui, les promesses de bail se revendent entre développeurs. De même que les permis de construire, d'ailleurs. » Comment faire pour se prémunir contre ces comportements indélicats ?
D'abord, « l'agriculteur doit prendre contact avec plusieurs développeurs, pour les mettre en concurrence et s'assurer qu'ils comprennent ses besoins et les caractéristiques de son exploitation. La confiance et la relation humaine, pour des projets qui courent sur 40 ans, sont évidemment clés », déclare Maxime Cumunel, délégué général de l'association France Agrivoltaïsme.
Ensuite, mieux vaut étudier à fond, de préférence avec un expert, les termes du contrat et bien négocier la rémunération. « Parmi nos adhérents, nous avons 160 agriculteurs et 60 développeurs. Nous vérifions la bonne foi de ces derniers en appelant leurs clients et en examinant les contrats passés, indique Audrey Juillac. En outre, si nous notons une détérioration des pratiques, nous les excluons. » Et Arnaud Pasquet de conclure qu'au-delà des risques de « réserve foncière », « ce sont une soixantaine de critères de protection de l'agriculteur et du propriétaire que nous mettons systématiquement en place dans toutes nos négociations ». Enfin, certains développeurs ignorent les aspects annexes pour les agriculteurs, comme les aides de la PAC, alors que ces derniers y ont droit (sous conditions). Autant dire que les agriculteurs ont intérêt... à défendre leurs intérêts.
Arnaud Pasquet, fondateur du cabinet de conseil Solaire Conseil.