Les distilleries UDM et Grap’Sud viennent de créer Vita Nova. Quel est l’objet de cette union ?
Hugues Maignan : Vita Nova est une union de collecte et de commercialisation. Pour la vendange 2024, ce sont près de 300.000 tonnes de sous-produits viticoles qui vont être traitées dans les différents sites des deux distilleries et de leurs filiales. Des Pyrénées-Orientales à l’Alsace en passant par le Var, 10 % du vignoble européen. Avec ce rapprochement, nous devenons la première distillerie vinicole du monde.
Les alcools, les engrais, les amendements, les colorants, les tanins, l’huile de pépins… tous ces produits seront ensuite vendus par les cinq commerciaux Vita Nova.
La commercialisation des dérivés tartriques, de sucre de raisin, de MCR reste assurée en propre par les deux groupes.
Ce rapprochement va-t-il profiter aux viticulteurs adhérents ?
H. M. : Les viticulteurs adhérant à l’une ou l’autre des deux distilleries le restent. Ils garderont donc les avantages acquis dans chaque groupe. Il n’y a pas d’alignement des politiques tarifaires et de retour pour le moment.
À terme, néanmoins, une convergence des offres peut être envisagée si les conseils d’administration des deux groupes le souhaitent.
Fortes de cette union, les deux distilleries ont-elles l’ambition de « capter » de nouveaux territoires viticoles ?
H. M. : UDM et Grap’Sud sont, par leur histoire, très présentes dans les départements viticoles du Languedoc-Roussillon. Au fil du temps, l’activité s’est étendue en Provence, dans le Beaujolais, la Bourgogne, l’Alsace, la Champagne. Mais le temps n’est plus à la course au tonnage. L’ambition de l’union Vita Nova n’est pas d’être plus gros, mais plus efficace et plus résilient.
Le rapprochement d’UDM et Grap’Sud resserre le maillage territorial de nos infrastructures. Des marcs de raisin, des lies feront moins de kilomètres pour être traités.
Nous souhaitons aussi développer les partenariats avec les méthaniseurs. Vita Nova peut collecter la matière première, en extraire l’alcool, les pépins, le tartrate et redistribuer un substrat finalement mieux adapté à la méthanisation. Nos deux activités ne sont pas concurrentes.
L’idée de valoriser les excédents de vin en bioéthanol fait son chemin dans la filière. Grap’Sud et l’UDM ont-elles les outils industriels pour en être la cheville ouvrière ?
H. M. : Le bioéthanol est déjà le principal débouché en alcool de nos deux distilleries réunies. Élaboré à partir de marcs et de lies, on parle de bioéthanol de deuxième génération ou de biocarburant avancé. Contrairement au biocarburant de première génération, on n’utilise pas de matières premières agricoles qui pourraient être destinées à l’alimentation animale ou humaine. Les biocarburants issus de résidus de culture bénéficient donc d’un statut particulier dans les objectifs d’incorporation de bioéthanol dans le mix des pétroliers.
Élaborer de l’alcool pour biocarburant à partir de vin est techniquement possible pour Vita Nova. Mais au regard de la réglementation actuelle, il serait de première génération. Ce changement de classe a des implications fortes. Économiquement, d’abord. Les biocarburants de première génération s’achètent deux fois moins chers que ceux de seconde génération. Administrativement ensuite.
Les distilleries doivent prouver que les bio-alcools qu’elles produisent ont un bilan carbone inférieur à celui des carburants fossiles. Pour un biocarburant de deuxième génération, le calcul de l’empreinte carbone commence en sortie de cave. Pour un biocarburant de première génération, il commence à la vigne. Le travail à fournir pour établir le bilan carbone prend une autre dimension.
>>> A lire à ce sujet: Et pourquoi pas du bioéthanol pour valoriser les excès de vin?
Des discussions politiques sont ouvertes par la filière pour considérer les excédents de vins non pas comme un produit alimentaire, mais comme un résidu de culture.
Si tel était le cas, nous pourrions augmenter notre production annuelle d’alcool pour biocarburant.
À ce jour, elle oscille entre 80.000 et 100.000 hl d’alcool pur.
La crise commerciale que traverse la viticulture française fait ressortir le sujet du MCR made in France. Est-ce une option stratégique pour UDM et Grap’Sud ?
H. M. : C’est le cas, en effet. La distillerie Grap’Sud possède en Espagne un site d’élaboration de moût concentré rectifié. 200.000 hl de MCR y sont fabriqués chaque année. Cet outil industriel à capitaux 100 % français peut accepter du volume supplémentaire. Lors des vendanges 2023, Grap’Sud avait d’ailleurs fait une offre d’achat de moût auprès de coopératives françaises.
Avec un prix de 15-20 euros l’hectolitre de moût, l’objectif n’est pas de valoriser le produit, mais plutôt d’évacuer des volumes de raisins peu qualitatifs d’un processus de vinification.
La filière MCR peut aussi être considérée comme une alternative partielle à la distillation de crise . C’est ce que fait historiquement l’Espagne pour gérer les excédents de production interannuels et stabiliser ses marchés.
Y a-t-il des perspectives de croissance pour le MCR ?
H. M. : Pour les applications œnologiques, elles sont faibles, mais il y a d’autres débouchés à développer. Dans l’industrie agroalimentaire notamment. Les sucres de fruits sont recherchés. Leur incorporation dans certains produits finis permet de revendiquer l’allégation « 100 % fruits ». Ce qui est impossible en utilisant du sucre de betterave.
Par ailleurs, nous estimons chez Vita Nova que le MCR français a de l’avenir. C’est dans cette optique que nous allons moderniser l’outil d’élaboration situé à Vallon-Pont-d’Arc. La capacité de production y est de 20.000 hl de MCR/an. Nous pourrons, dès les vendanges 2024, proposer aux coopératives du MCR à façon utilisable pour les vinifications 2025.
La filière MCR peut aussi être considérée comme une alternative partielle à la distillation de crise
Vita Nova a aussi dans son portefeuille des alcools de bouche. Ce débouché a-t-il assez de profondeur pour absorber des vins français qui ne trouvent pas d’acheteur ?
H. M. : Le marché des eaux-de-vie connaît une baisse conjoncturelle. En 20 ans, nos ventes ont été divisées par deux.
Le marché de l’alcool vinique rectifié à 96 degrés est, en comparaison, plus dynamique. Malgré la déconsommation mondiale d’alcool, il reste stable, utilisé dans l’élaboration de vodka, de gin, de porto…
Les perspectives d’arrachage sont particulièrement fortes sur le bassin languedocien, territoire historique de la collecte des deux distilleries unies par Vita Nova. Comment anticipez-vous cette perte de matières premières ?
H. M. : La première étape a été de nous rapprocher, UDM et Grap’Sud. Pourquoi continuer à nous affronter quand la collecte est appelée à baisser et que la concurrence des distilleries étrangères sur la vente de produits transformés va crescendo ? L’union était une évidence. La mutualisation de nos infrastructures permet, selon les cas, de spécialiser, d’optimiser, de diversifier l’activité de tel ou tel site.
Sur le site gardois de Vauvert, nous allons par exemple développer la collecte de marcs et de lies certifiés bio. À l’échelle européenne, il y a peu d’opérateurs capables de proposer de l’alcool vinique bio, des polyphénols bio, de l’huile de pépins de raisin bio… Les secteurs de la cosmétique, de l’IAA, des spiritueux peuvent être intéressés.
La mise en place d’une collecte sélective est un défi logistique pour les caves et les distilleries, mais il y a de la valeur à prendre pour les deux parties. Depuis 5 ans, l’UDM rémunère mieux les lies bio que les lies conventionnelles.
Cette diversification dans les produits bio illustre un autre pan de la stratégie de Vita Nova : chercher la valeur maximale pour chaque unité collectée.
Nous allons développer la collecte de marcs et de lies certifiés bio
Poursuivez-vous les efforts de résilience environnementale engagés dans les deux groupes ?
H. M. : Plus que jamais ! La crise énergétique que traverse l’Europe aurait pu être fatale à nos deux entreprises. La consommation énergétique représente 20 % de notre chiffre d’affaires. Gagner en autonomie est indispensable. Dans le même temps, nous nous inscrivons dans une logique de réduction de notre empreinte carbone. Les investissements que nous faisons en matière d’énergie doivent répondre à ces deux enjeux.
Concrètement, pour citer quelques exemples, un parc photovoltaïque au sol va être installé sur le site de Vauvert, dans le Gard. 70 % de l’énergie produite sera autoconsommée. À Cruviers-Lastours, toujours dans le Gard, c’est une chaudière à biomasse alimentée à 80 % par les résidus du site qui permettra d’atteindre l’autonomie énergétique en 2025.
L’eau est aussi une ressource stratégique dans nos activités. Il faut théoriquement environ 3 m3 pour transformer 1 tonne de marc de raisin mais nous assurons déjà le lavage des marcs et le fonctionnement des tours aéroréfrigérées avec des eaux de process permettant ainsi de diviser par trois cette consommation théorique.
Pour réduire encore plus nos prélèvements, notre ambition est plurielle. Traiter et réutiliser toutes les eaux usées, jusque dans les chaudières, d’un côté. Utiliser l’eau contenue dans les produits collectés dans les process, d’un autre côté. Avec ces deux leviers, nous pourrions atteindre une quasi-autonomie.
La désalcoolisation partielle ou totale est un sujet d’actualité fort dans la filière. Bordeaux Families en Gironde, Vivadour en Gascogne ont massivement investi dans des outils industriels capables de modifier la teneur en alcool des vins. Quel est le positionnement de Vita Nova ?
H. M. : Nos adhérents nous ont bien évidemment sollicités à ce sujet. Et il a été décidé, en début d’année, de remettre en état l’unité de désalcoolisation partielle du site d’Olonzac dans l’Hérault. Fin 2024, nous pourrons faire les premiers tests en associant l’osmose inverse et la distillation du perméat.