"La culture de soja ne menace pas la forêt amazonienne"

Photo :  JJ Gouin

"Le développement de la production de soja au Brésil ne menace pas la forêt amazonienne. La déforestation ne fait pas partie des scénarios envisagés par le pays, pour des raisons environnementales d’une part, mais aussi pour des raisons agronomiques, logistiques et financières." C'est l'avis d'Alexandre de Lima Nepomuceno, de Décio Gazzoni, et de Marco Antonio Nogueira, chercheurs à L’Embrapa Soybean, centre de recherche agronomique brésilien. Nous les avons sollicités afin de tenter de distinguer le vrai du faux entre les déclarations d'Emmanuel Macron et de Jaïr Bolsonaro qui s’invectivent à ce sujet sur les réseaux sociaux. Mi-janvier, le président français tenait, à l’occasion d’un déplacement dans l’Eure, les propos suivant : "Quand on importe du soja qui est fait à marche forcée sur de la forêt détruite au Brésil, nous ne sommes pas cohérents avec nous-mêmes." En retour, Jaïr Bolsonaro reprochait à son homologue français de dire des bêtises.

Ainsi, les trois chercheurs nous ont proposé un petit récapitulatif de l’histoire du soja au Brésil et apportent leur éclairage quant aux raisons d’un tel succès. En effet, il faut rappeler que le pays, avec 125 millions de tonnes produites pendant la campagne 2019-2020 sur 37 millions d’hectares, est devenu le premier producteur mondial, devant les États-Unis.

Comment le Brésil a-t-il réussi ce tour de force ? Pour certains,  ce développement s’est fait au détriment de la forêt amazonienne, mais les chercheurs brésiliens avancent d’autres raisons.

Le saviez-vous? Les premiers essais de la culture du soja remontent à 1882, mais les variétés ne semblaient pas très adaptées. Après quelques décennies de recherche, les premières productions ont réellement vu le jour dans les années 1940, puis la culture a pris son essor dans les années 1960 et 1970. La production s’est d’abord développée au sud (État de Rio do Sul) puis a conquis progressivement les États du centre (Mato Grosso) et du Nord (Pará).

Des rendements de soja multipliés par trois

 

Les chercheurs précisent qu’entre 1960 et 2018, les surfaces ont progressé de 14,7 % tandis que la production a quasiment doublé en volume. Cette forte croissance s’explique principalement par la très forte évolution du rendement (+ 200 %), en passant de 1,12 t/ha à 3,3 t/ha. "Grâce à des investissements massifs, les producteurs ont contribué à améliorer la qualité chimique des sols tropicaux naturellement peu fertiles. Par ailleurs, il y a eu beaucoup de progrès autour des innoculations (avec Bradyrhizobium), ce qui a permis de pallier le manque d’azote disponble dans ces types de sols”, précisent les chercheurs. Plus recemment, les spécialistes évoquent la technique de la co-innoculation avec Azospirillum brasilence, qui favorise la croissance des plantes. "25% des producteurs ont recours à la co-inoculation, on estime à 8 % le gain de rendement grâce à cette technique."

Les agriculteurs ont aussi modifié leurs pratiques. D’un système historiquement basé sur le labour, 90 % d’entre eux pratiquent désormais le non-labour. "Le labour et le travail du sol étaient très dommageables pour les sols tropicaux, très sensibles à l’érosion. À partir des années 1990, le non-labour est devenu la norme et on estime, selon des études conduites entre 2003 et 2011, que l’on capte ainsi 1,4 à 1,6 tonne de carbone par hectare et par an".

Les systèmes se sont aussi intensifiés en intégrant des cultures intermédiaires fourragères (graminées tropicales), elles sont valorisées par le bétail pendant la saison sèche et restent en place au moment du semis de la culture suivante. "D’une part, elles assurent une bonne couverture du sol, d’autre part, ce sont aussi des puits de carbone supplémentaires. Le bilan carbone de la culture du soja au Brésil est très bon."

Enfin, le développement de ce type de pratiques intensives sur le plan agronomique a permis de restaurer des sols, traditionnellement pâturés et qui s’appauvrissaient sur le plan de la fertilité. Nos trois interlocuteurs précisent que c’est essentiellement sur ce type de sol "pâturages dégradés et abandonnés" que s’est développée la culture du soja et qu'il reste encore un potentiel conséquent estimé à 30 millions d’hectares. L’apport de l’irrigation pèse aussi dans la balance : "Les progrès agronomiques, l’intensification des pratiques, les progrès génétiques, ont réellement permis de développer la culture. Les agriculteurs comprennent l’importance de la préservation de l’environnement et il est plus profitable pour eux de mettre en oeuvre certaines pratiques agronomiques pour augmenter les rendements que de cultiver des nouvelles terres qui nécessiteraient beaucoup d’investissements."

L'intensification des systèmes avec deux ou trois cultures par an permet ainsi de ne pas nécessairement avoir recours à des nouvelles aires de production.

 

Une législation très stricte

 

Les chercheurs nous partagent d’autres chiffres. "La SAU du Brésil est estimée à 65,8 millions d’hectares, ce qui représente environ 8 % de la superficie totale du pays. Plus de 66 % du territoire est aujourd’hui sanctuarisé sous forme de zones préservées. À titre de comparaison, 76 % de la superficie du Dannemark est cultivée et 57 % du territoire allemand." Ils précisent que la législation brésilienne est particulièrement stricte sur l’utilisation des terres, y compris pour les propriétaires privés. "Ainsi en Amazonie, seulement 20 % des surfaces peuvent être utilisées pour l’agriculture. Le propriétaire est contraint par la loi de maintenir les zones de végétation indigène." Par ailleurs, des moratoires existent. En 2008, l’Association brésilienne des huiles végétales et l’Association nationale des exportateurs de céréales se sont engagées à ne pas acheter ou financer de soja produit dans cette zone de l’Amazonie. "Dans les faits, on estime qu’entre 2009 et 2017, seulement 64 300 ha ont été déboisés illégalement, soit 0,18 % de la superficie brésilienne de soja. Et les producteurs concernés ont été confrontés à d’énormes difficultés, que ce soit pour l’achat d’intrants ou pour la vente de leurs produits", indiquent les spécialistes.

Les chercheurs résument ainsi les choses. La forte progression des volumes de soja produits s’explique avant toute chose par les progrès agronomiques, les changements de pratiques et l’intensification des systèmes. Par ailleurs, les nouvelles zones de culture sont principalement des terres historiquement pâturées. Ils insistent aussi sur le fait que le développement de la production de soja dans les zones préservées, telle que la forêt Amazonienne, ne fait pas partie des scénarios envisagés par le pays, pour des raisons environnementales mais aussi pour des raisons agronomiques et financières.

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