Entre arrachages et nouveaux adhérents, la cave de Rauzan maintient ses surfaces

Dans la crise de marché que connaît Bordeaux depuis deux ans, assurer la vinification et porter des stocks de vins sont des charges devenues trop lourdes pour des vignerons. Rejoindre la coopération apparaît comme un élément de solution. Encore faut-il que les portes soient ouvertes. Les coopératives bordelaises ne sont pas immunisées contre les difficultés commerciales. Au cœur de l'Entre-deux-Mers, la stratégie bouteille et les engagements RSE de la cave coopérative de Rauzan aident à tenir le cap et à conserver l’orientation « tout AOC ». Philippe Hébrard, directeur de la cave, détaille l'actualité de la structure. 

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570 hectares vont être arrachés sur la cave coopérative bordelaise de Rauzan. Les volumes perdus seront en partie compensés par les nouveaux arrivants. 

© Rauzan

>>> Des viticulteurs qui, traditionnellement, travaillaient avec le négoce se sont-ils dernièrement rapprochés des caves de Rauzan pour devenir adhérents ?

Philippe Hébrard : Des producteurs orientés sur de la vente de vin en vrac nous ont effectivement sollicités, mais pas uniquement.

Des vignerons indépendants aussi, selon plusieurs schémas. Certains, en devenant coopérateurs, se séparent d’une partie de leur production. Ils réduisent ainsi leur potentiel de vinification pour ne garder que le vin qu’ils peuvent valoriser commercialement. D’autres apportent la totalité de leurs vignes, renoncent à vinifier et à vendre.

Pour ceux qui engagent plus de 10 hectares à la coopérative, nous pouvons et allons faire du vin à façon. Les vignerons concernés rachèteront le vin à la cave et se chargent de la commercialisation sous leur nom.

>>> La situation est-elle inédite pour Rauzan ?

P. H. : Les coopérateurs se renouvellent en permanence, notamment en période de crise. Après la petite récolte de 2017 et la Covid-19, il y a eu beaucoup de nouvelles adhésions. Entre 2019 et 2021, nous avons fait rentrer 550 hectares de vignes nouvelles, passant de 3.500 à 4.050 ha.

Au regard de nos capacités de réception, de vinification et de stockage, nous avions atteint un plafond. Pour le dépasser, il fallait investir. Le conseil d’administration n’a pas opté pour cette direction.

Par la suite, en 2022 et 2023, 200 ha de vignes ont été retirés de la coopérative suite à des arrêts d’activités. Il y a toujours du mouvement chez les adhérents. Traditionnellement, chaque année, 10 % des surfaces se libèrent et changent de main. Sur ce volume, 90 % étaient repris en interne. Désormais, on est plutôt à 40-50 %. Vu la conjoncture, la capacité des viticulteurs à reprendre des terres chute.

>>> Des coopérateurs de Rauzan vont-ils arracher des vignes ?

P. H. : 570 hectares vont être arrachés, soit 15 % des surfaces engagées auprès de la cave. Ce sont majoritairement de vieilles vignes ou des vignes mal entretenues qui étaient loin des rendements moyens.

Mais les volumes perdus seront en partie compensés par les nouveaux arrivants : vraqueurs et vignerons indépendants, comme je l’expliquais précédemment, auxquels il faut ajouter des coopérateurs qui quittent leurs anciennes structures pour trouver chez Rauzan des acomptes réguliers et une meilleure rémunération.

>>> Est-il possible d’établir une typologie des adhérents qui vont arracher ?

P. H. : Ce sont des viticulteurs proches de la retraite, des retraités pour qui la vigne devait constituer un complément de revenus, des pluriactifs et des exploitants qui étaient déjà en difficulté financière.

>>> L’AOC bordeaux rouge est particulièrement touchée par les méventes. Avec 84 % de cépages rouges et une orientation AOC, comment la cave de Rauzan fait-elle face ?

P. H. : Tout ce que nous pouvons faire en blanc de noir, nous le faisons. Cela réduit les volumes de vins rouges difficiles à valoriser et nous permet d’approvisionner nos marchés de crémant de Bordeaux. Cette stratégie permet par ailleurs de conserver un maximum de vins blancs pour élaborer des vins tranquilles en AOC.

En 2023, nous avons augmenté la part de vin rosé. La couleur est désormais moins porteuse que le blanc, mais toujours plus que le rouge.

Ensuite, nous diversifions nos profils de vins rouges. Cette année, nous lançons un rouge à boire frais. En 2025, nous proposerons de l’entre-deux-mers rouge. Pour le lancement de cette AOC, tout juste reconnue, notre déclaration de récolte est limitée. Mais je suis sûr qu’il y aura une clientèle pour cette appellation.

Certains, critiques, diront que c’est une appellation de plus à Bordeaux, rouge qui plus est. Mais, au contraire, il faut de tout dans un vignoble, même des vins rouges de garde ! Avec son cahier des charges exigeant, l’entre-deux-mers rouge est un levier pour sortir de la crise vers le haut.

>>> L’IGP Atlantique est-elle un levier de sortie de crise pour la cave de Rauzan ?

P. H. : Pour l’instant non. Rauzan est attachée à ses appellations. À moins que la rémunération soit identique ou supérieure à celles des AOC, nous ne déclassons pas de vins en IGP ou en VSIG. C’est très rare.

>>> Et le vin sans alcool ? À Bordeaux, des coopératives ont pris cette orientation à bras-le-corps…

P. H. : La cave de Rauzan est déjà sur ce marché. Un partenaire allemand nous achète du vin bio blanc en AOC bordeaux. Il se charge de la désalcoolisation et de la commercialisation outre-Rhin. Ce vin sans alcool qualitatif, avec seulement 2 grammes de sucres résiduels, y est proposé à 12,35 euros.

C’est une niche dans la niche, mais nous l’avons proposé durant les fêtes de fin d’année dans nos caveaux de vente et nous avons eu de bons retours. On envisage donc de déployer cette offre.

>>> La cave de Rauzan participe-t-elle financièrement à la restructuration du vignoble de ses adhérents, notamment pour inciter à la plantation de cépages blancs ?

P. H. : La cave aide en effet à la plantation de certains cépages. Cela dit, pour nous, la clé de discrimination n’est pas la couleur, mais la précocité.

Nous avons financé l’achat des plants de variétés tardives comme le colombard, le petit verdot et le cabernet sauvignon.

>>> Le petit verdot représente à ce jour 1,5 % de l’encépagement de la coopérative. Le dispositif de la cave est-il assez incitatif ?

P. H. : Sur ce cépage rouge, inscrit comme l’un des cépages principaux de nos appellations, nous partions de zéro quand nous avons mis en place l’aide à la plantation en 2018. On peut donc se féliciter, d’autant que le renouvellement du vignoble est très ralenti ces dernières années.

>>> Rauzan est reconnue comme l’une des caves coopératives françaises pionnière dans la RSE. Vos engagements en matière de développement durable sont-ils un atout commercial ?

P. H. : La cave de Rauzan surnage par rapport à d’autres coopératives, dans les contextes commerciaux bordelais et national que l’on connaît. Et je suis convaincu que notre stratégie de responsabilité sociétale y est pour beaucoup.

Nos valeurs, nos engagements, nos actions et certifications nous différencient. On sort du lot.

Séverine Favre


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