L’année dernière, l’équipe de Christophe Délye de l’Inrae de Dijon a officialisé un cas de résistance du vulpin au glyphosate en France, dans le département de Haute-Saône. Une première mondiale, mais surtout une mauvaise nouvelle pour les céréaliers.
En effet, si cette résistance a été identifiée dans des parcelles franc-comtoises, il est cependant illusoire de penser qu’elle ne concerne que ce secteur géographique et il est probable qu’elle soit présente dans d’autres régions. « On ne trouve que là où l’on cherche », explique Christophe Délye.
Pas de test ADN possible
Pour établir la résistance du vulpin au glyphosate, les tests effectués sont des tests « classiques » sur plantes : « Lors d’une suspicion de résistance, des graines sont récoltées et mises à germer en serre. Les plantules sont ensuite traitées à la dose au champ avec un banc de traitement, et l’effet des applications est tout simplement observé. C’est ce que nous avons fait avec les graines récoltées en 2022 sur la parcelle signalée par la chambre d’agriculture de Haute-Saône », précise-t-il.
Lors de la découverte d’une nouvelle résistance, il n’est pas possible d’effectuer de test ADN, puisque le mécanisme de résistance et la mutation en cause ne sont pas connus. « En revanche, sur des résistances déjà décrites pour lesquelles les gènes impliqués sont connus, des tests ADN sont possibles et permettent de gagner du temps. C’est le cas, par exemple, pour les résistances aux inhibiteurs de l’ACCase ou de l’ALS sur vulpin et ray-grass. Dans le cas de la résistance du vulpin au glyphosate, il s’agit d’une résistance non liée à la cible, dont les mécanismes sont inconnus : seuls des tests "classiques" peuvent être effectués », indique-t-il.
Un suivi de la résistance est en cours
Un suivi de la résistance du vulpin au glyphosate en France est actuellement réalisé dans le cadre du réseau national d’épidémiosurveillance et permettra de mieux connaître la répartition de cette résistance sur le territoire hexagonal.
La découverte de vulpins résistants au glyphosate n’est pas une bonne nouvelle. « Nous avions déjà une résistance identifiée du ray-grass au glyphosate. La résistance du vulpin n’est pas plus inquiétante, mais elle pose problème, car on perd une matière active efficace, qui permettait de remettre les compteurs à zéro. Pour un agriculteur, avoir des résistances aux inhibiteurs de l’ACCase ou de l’ALS est, certes, problématique, mais avec la résistance au glyphosate, on change de division… D’autant que ce type de résistance émerge le plus souvent dans des situations de non-travail du sol, de semis direct, d’utilisation fréquente de glyphosate à petite dose. L’existence d’une telle résistance remet en cause le fonctionnement même des exploitations concernées, les obligeant à revenir au travail du sol », analyse Ludovic Bonin, responsable du pôle flores adventices pour Arvalis.
Car en vulpin comme en ray-grass, le stock semencier diminue vite, mais perdure longtemps. « On peut perdre 75 % des graines en un an, mais il demeure toujours un fond de cuve pendant 10 ans », précise-t-il. La résistance une fois installée sur une parcelle, il est donc très difficile de revenir en arrière.
Cette résistance s’ajoute à la liste déjà bien fournie de celles connues chez le vulpin : Fops et Dims (inhibiteurs de l’ACCase) depuis les années 1990, sulfonylurées et triazolopyrimidines (inhibiteurs de l’ALS) à partir de 2006, puis chloroacétamides (flufénacet) et thiocarbamates (prosulfocarbe, inhibiteurs de l’élongation des acides gras) à compter de 2019. La situation n’est pas meilleure concernant l’autre graminée hivernale problématique en culture de céréales, le ray-grass, concerné également par des résistances à ces mêmes modes d'action.
25 espèces concernées en France
Outre leur inscription sur la base de données mondiale, les cas français de résistances aux herbicides avérés sont décrits sur le site de R4P.
À l’heure actuelle, une résistance a été identifiée en France chez 25 espèces : 12 graminées et 13 dicotylédones. Pour rappel, la résistance aux herbicides est le résultat de l’adaptation des adventices aux applications effectuées. « Ce n’est pas l’herbicide qui crée la résistance (il n’y a pas d’effet mutagène du produit), celle-ci est préexistante en très faibles fréquences dans les parcelles. Les applications d’herbicides tuent les adventices sensibles, tandis que celles résistantes survivent et produisent une descendance également résistante : les herbicides sélectionnent, "favorisent" les plantes résistantes, dont la fréquence augmente dans les parcelles, traitement après traitement… jusqu’à la perte de contrôle », précise Christophe Délye.
Ray-grass, vulpin et coquelicot : des résistances multiples
Les résistances concernent essentiellement – et fort logiquement – les modes d’action les plus utilisés sur le territoire hexagonal, à savoir les inhibiteurs de l’ALS et les inhibiteurs de l’ACCase chez les graminées, les inhibiteurs de l’ALS et les herbicides auxiniques chez les dicotylédones.
Les 3 espèces les plus préoccupantes du point de vue de la résistance sont le ray-grass et le vulpin (résistance à 4 modes d'action : inhibiteurs de l’ACCase et/ou de l’ALS et/ou de l’élongation des acides gras et/ou glyphosate) et le coquelicot (résistance aux inhibiteurs de l’ALS et/ou aux auxiniques). Des résistances « multiples », à plusieurs modes d’actions herbicides à la fois, sont observées chez ces espèces.
Pour ralentir la sélection de résistances, les consignes ne changent pas et demeurent de diversifier les pratiques de désherbage en introduisant des pratiques non chimiques (travail du sol, désherbage mécanique, succession culturale…) et de limiter l’emploi d’herbicides chimiques au strict nécessaire, en dernier recours : les seuls traitements qui ne sélectionnent pas de résistances sont ceux qui ne sont pas appliqués...
Comment savoir si des adventices résistantes sont présentes sur une parcelle ?
Il n’est pas toujours évident de savoir si une parcelle est concernée par des adventices résistantes. En cas de doute, des tests peuvent être effectués, de façon à adapter les pratiques rapidement.
« Il existe des cas pour lesquels la situation est très nette : en regardant l’historique de la parcelle et en constatant une explosion des densités de mauvaises herbes. Mais dans certaines situations, les signes peuvent être plus discrets, avec des densités d’adventices faibles mais des efficacités du désherbage aléatoires. Pour ces situations "grises", pour lesquelles l’herbicide fonctionne un peu, il faut, dans un premier temps, vérifier que la cause de la baisse d’efficacité du passage herbicide n’est pas liée à des mauvaises conditions d’application : météo, stade des plantules trop avancé, etc. Si ce n’est pas le cas, il peut être intéressant d’effectuer des tests de résistances, en passant par une chambre d’agriculture, un OS, un prestataire ou une firme. Cela permet d’être fixé et de réagir en fonction. Mais ce type de test, en plus de son coût, pose la question de l’échantillonnage à réaliser, car la résistance, surtout au démarrage, n’est pas présente de façon homogène sur une parcelle. Elle apparaît plutôt en ronds », explique Ludovic Bonin d’Arvalis.
Le chénopode blanc résistant au glyphosate au Québec
En avril 2024, une résistance du chénopode blanc au glyphosate a été officiellement mise en évidence au Québec. La région étant lointaine, cette découverte a-t-elle une incidence pour les céréaliers européens ? « Dès lors qu'une résistance est découverte dans le monde, cela signifie que son émergence est possible et peut se produire ailleurs si l’herbicide et l’adventice concernés y sont présents. C’est une des raisons pour lesquelles les résistances sont suivies au niveau mondial. Mais il faut tenir compte des conditions ; nous n'avons pas nécessairement les mêmes pratiques agronomiques et herbicides qu’au Québec. Globalement, le glyphosate correctement utilisé est un herbicide à faible risque », tempère Christophe Délye, de l'Inrae de Dijon. Les cas de résistance aux herbicides au niveau mondial sont répertoriés sur une base de données internationale, consultable sur le site www.weedscience.org, régulièrement mise à jour. Actuellement, 533 cas de résistance ont été signalés concernant 273 espèces d’adventices, dont 156 dicotylédones et 117 monocotylédones. Les adventices ont développé une résistance à 21 des 31 modes d'action herbicides connus et à 168 herbicides différents. Des mauvaises herbes résistantes aux herbicides ont été signalées dans 101 cultures dans 72 pays.