« On peut faire de l'Occitanie le vignoble le plus “nature” du monde »

Claude Vialade, fondatrice des Domaines Auriol, propose une stratégie de communication audacieuse pour revitaliser les vins d'Occitanie : positionner la région comme la plus « nature » du monde. Avec ce projet qui capitalise sur les atouts naturels de l'Occitanie, Claude Vialade espère fédérer toute la filière vin et même au-delà…

Claude Vialade a fondé les Domaines Auriol en 2000. Chaque année, 13 millions de cols sont exportées. 85 % des volumes de la maison revendiquent une certification (AB, Végan, Vin méthode nature, Déméter…).

© Domaines Auriol

« La région la plus “nature” de France. Réflexion sur la différenciation gagnante pour l’Occitanie » Tel est le titre, explicite, du projet que vous avez réfléchi et que vous proposez depuis peu aux acteurs de la filière. Etablir une nouvelle stratégie de communication est-elle la priorité dans le contexte de crise que connaissent les vins de la région ?

Claude Vialade: C’est à mon sens une des clés essentielles pour sortir de la crise. Les vins du Languedoc-Roussillon ont un problème d’image, chronique. Ce qui est dommageable pour n’importe quelle région viticole du monde, l’est encore plus pour la notre lorsqu’on la repositionne dans son environnement concurrentiel. L’Italie, l’Espagne et la France produisent à elles seules presque la moitié des vins du monde. L’Occitanie se retrouve au centre de l’Europe viticole, avec autant de vin à vendre que l’Australie ou l’Argentine, sans éléments différenciants forts pour se faire une place durable sur les marchés internationaux.

La Provence a ses rosés, la Champagne est le berceau du vin de célébration, Bordeaux est célèbre pour ses vins de classe mondiale et ses domaines prestigieux, l’Alsace est réputée pour ses vins blancs aromatiques… Toutes les régions françaises ont leur accroche. Avec les Domaines Ariol, je vends du vin du Languedoc-Roussillon depuis près d’un quart de siècle à l’étranger et force est de constater que la région peine à se forger une image, valorisante.

Pourtant, on pourrait capitaliser sur un thème porteur, qu’aucune zone viticole européenne n’a pris pour soi et sur lequel nous sommes légitimes. Nous devrions être reconnus comme la région la plus «nature» du monde.

Au cœur de la zone la plus concurrentielle du Monde, comment exister sans une image forte ?

 

Cela signifie-t-il de passer tout le vignoble d’Occitanie en bio ? Après une période de conversion importante sous l’impulsion notable des coopératives, les surfaces de vignes bio se sont stabilisées.

Par « nature » je n’entends pas uniquement « bio ». C’est la nature prise au sens large. Pour autant, cette revendication doit s’accompagner d’actes. Pour la viticulture, ce sont les certifications. Convertir l’ensemble du vignoble à la bio n’est pas nécessaire. Un objectif de 30-40 % est suffisant. Et il ne faut pas fermer la porte à d’autres labels comme Déméter, Végan, sans soufre ajouté, HVE…

Pourquoi cette stratégie de communication autour du naturel, de la naturalité, du respect de l’environnement aurait-elle plus de chance de fonctionner que celles déployées par le passé ?

La liste des arguments pour sa réussite peut s’articuler en cinq prérequis auxquels la région répond positivement.

L’axe de communication proposée est exclusif ; pour le moment aucune région ne s’est positionnée sur ce crédo.

Il est aussi représentatif de notre territoire ; l’Occitanie capitalise sur des paysages variés, des espaces naturels préservés importants, une agriculture vertueuse. L’Occitanie est d’ores et déjà la région plus bio de France.

22% des vignes du Languedoc-Roussillon sont bio. Le département du Gard est le champion avec 33% du vignoble certifié AB.

 

Cette stratégie de communication est identitaire ; la région est reconnue pour son art de vivre, sa diète méditerranéenne, le French Paradox…

Le projet est aussi fédérateur, il n’oppose pas les catégories AOC, IGP, vins de France. Dans les faits, il y a déjà des vins bio en IGP, des vins AOC certifiés HVE, des vins de France vegans. Par ailleurs, tous les opérateurs peuvent trouver leur compte, car le projet ne déstabilise pas la pyramide des vins d’Occitanie. La montée en gamme de tous n’est pas nécessaire, mais elle pourra être facilitée pour ceux qui la désirent grâce à une image collective positive.

Et j’en arrive au dernier prérequis. Faire de l’Occitanie la région la plus « nature » au monde est un message porteur. Le respect de la nature, de soi, des autres ont le vent en poupe auprès des consommateurs et des médias. Que risque-t-on à tenter le coup ?

Entamez-vous une croisade solitaire ?

L’intitulé complet de la stratégie que je porte est « La région la plus « nature » de France. Réflexion sur la différenciation gagnante pour l’Occitanie . En finir avec le corporatisme. ». On ne peut pas mettre sous le tapis les clivages forts qui opposent historiquement le négoce, les coopératives et les caves particulières. Combien de stratégies collectives ont échoué de ce fait ? Ma « chance » est qu’actuellement tous les acteurs sont fatigués de la fragilité du modèle languedocien.

Si je commence à évoquer publiquement cette stratégie, c’est qu’elle a déjà été approuvée par la plupart des organisations agricoles régionales et nationales, de l’amont et de l’aval.

Qui pourra porter cette stratégie collective ?

Aucune des interprofessions reconnues du territoire n’a la légitimité suffisante, surtout depuis l’implosion du CIVL et du CIVR. La Région Occitanie doit chapeauter le projet et s’appuyer sur un nouveau socle interprofessionnel, un socle qui a du poids et une vision macro-économique.

Je propose un trio regroupant SudVinBio, l’interprofession des vins bio d’Occitanie, l'AREA Occitanie qui associe les entreprises alimentaires de l'Occitanie et le conseil administratif de l’association française des embouteilleurs et distributeurs de vins et spiritueux (AFED) dans lequel siège actuellement Castel, Cordier, Grands Chais de France, Fiée des Loi (Intermarché) Prodis (Carrefour) et les Domaines Auriol.

La Région Occitanie doit chapeauter le projet et s’appuyer sur un nouveau socle interprofessionnel

Pourquoi intégrer les entreprises de l’agroalimentaire ?

La région la plus « nature » de France ne doit pas se cantonner à la promotion de ses vins. C’est un concept à ouvrir à l’alimentation, aux gites ruraux, aux loisirs de plein air… L’inrae, les Parcs naturels aussi doivent être parties prenantes. Avec ce fil rouge autour de la naturalité nous développerons un autre type de tourisme pour la région.

Vous désirez aller vite dans le lancement de cette stratégie de communication. Pourquoi ?

La crise viticole et la concurrence. Je ne vais pas revenir de suite sur le premier point. Pour le second, mon expérience à l’international me prouve chaque jour que l’on a encore plus à perdre à attendre. Nos voisins catalans pourraient nous prendre de court. Les vins effervescents cavas de gardes supérieures doivent désormais être certifiés bio. Et puis, à l’Est de l’Europe, la viticulture se réveille. Cette concurrence invisible depuis la France fait son entrée sur des marchés historiques du Languedoc-Roussillon comme l’Allemagne.

Occitanie, région « nature », mais Occitanie, région de vins rouges. Une stratégie de communication peut-elle faire acheter aux consommateurs des vins dont ils ne veulent a priori plus en ce moment ?

Il faut, bien sûr, répondre aux attentes. Je parlais des corporatismes. Dans cette veine n’oublions pas le poids des règles. Evidemment, il faut garantir la qualité de nos vins aux consommateurs mais arrêtons de nous mettre d’inutiles bâtons dans les roues. Un exemple ? Les appellations qui interdissent la mention des cépages sur l’étiquette. Mais quelle erreur ! A l’international, le choix d’un vin se fait en grande partie par cette porte. Ces entraves ne sont pas immuables. Il faut faire évoluer les cahiers des charges.

Ce point étant dit, la filière doit opérer de plus grands changements pour rebondir. L’avenir passe par les « 4B » : le bio, le blanc, les bulles, le bas alcool.

A l’international, la demande pour les vins bio, biodynamie, natures continue de croître.

Avec le réchauffement climatique et la modification des habitudes alimentaires, les vins frais, plus buvables sont plébiscités. Le vin blanc auquel j’ajoute le rosé répond à ces attentes.

Passons aux vins à faible teneur en alcool. Ils sont en train de devenir un segment de marché à part entière. L’Occitanie doit proposer des volumes de qualité.

Quant aux bulles… La région a raté le train en marche. Encore aujourd’hui, même après le succès des Italiens avec le prosecco et des Espagnols avec le cava, l’obtention d’une IGP effervescente en Occitanie semble bouchée. Pourtant, il faut investir ce créneau commercialement porteur. Il ne reste qu’une voie : celle des vins de France.

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