Sauternes croit en son renouveau

Après des années de baisse continue des ventes, l’appellation voit l’avenir plus sereinement. Le prix du tonneau a augmenté de 40 % en trois ans et s’établit aujourd’hui entre 7.300 € et 8.000 €. Une embellie qui semble profiter à tous, crus classés comme domaines familiaux.

Château Rayne-Vigneau

L'appellation sauternes et barsac compte 140 vignerons dont 27 crus classés. Le château Rayne-Vigneau est l'un d'entre eux.

© François Poincet

« Pas un hectare de sauternes n’a sollicité la prime d’arrachage. Pas un. » Pour David Bolzan et Pierre-Baptiste Fontaine, respectivement coprésident et directeur de l’ODG sauternes et barsac, voilà la preuve que l’appellation la plus prestigieuse des vins liquoreux a fini de manger son pain noir. Un îlot d’optimisme au milieu d’un vignoble bordelais qui cherche désespérément une sortie de crise.

David Bolzan (à gauche) et Jean-Jacques Dubourdieu, co-présidents de l'ODG Sauternes et Barsac

David Bolzan (à gauche) et Jean-Jacques Dubourdieu, coprésidents de l'ODG sauternes et barsac.

© Divino Conseil

Autre chiffre mis en avant : le prix du vrac, qui représente plus d’un tiers de la commercialisation des vins de sauternes et barsac. En trois ans, le tonneau a pris 40 % et s’établit entre 7.300 € et 8.000 €. Un prix stable depuis trois millésimes. « On peut affirmer que depuis plus de deux ans, il y a une juste rémunération du travail des vignerons, ce qui est très positif », se réjouit le directeur.  

« Il n’y a pas de raison pour qu’on n’atteigne pas 10.000 € un jour », espère même le coprésident. Ancien directeur du château Lafaurie-Peyraguey (grand cru classé en 1855), il explique cette remontée par un rééquilibrage entre offre et demande. « Le stock cachait la demande, analyse-t-il. Il y a encore quatre ans, nous avions un stock raisonnable, mais il a baissé en 2022, car nous avons eu une toute petite production en 2021 à cause du gel de printemps. »

Des vins moins sucrés et plus équilibrés 

Depuis une dizaine d’années, le vignoble sauternais produit moins que ce que le cahier des charges autorise. Environ 15 hl/ha alors qu’il pourrait produire 25 hl/ha. La production s’établit à ce jour autour de 25.000 hl. Quand elle était de 35.634 en 2015, et de 46.994 en 1995. Une érosion que David Bolzan met sur le compte des conditions climatiques, mais qui a aussi pour origine la baisse du nombre d’hectares exploités. 2.282 ha en 1995, contre 1.947 ha en 2015, et 1.557 ha à l’heure actuelle. Du côté des producteurs, ils sont maintenant 140, dont 27 crus classés, quand ils étaient 185 en 2015.

L’offre a donc baissé, tandis que l’ODG s’efforce, depuis une dizaine d’années, de stimuler la demande. En commençant par adapter le produit aux attentes des consommateurs. « Ils veulent des vins friands, faciles à boire, et nous avons donc travaillé sur l’équilibre entre l’alcool, le sucre et l’acidité, alors qu’avant, nous étions seulement sur un équilibre entre alcool et sucre », décrit David Bolzan. « Les vignerons peuvent descendre jusqu’à 45 g de sucre par litre, ce qui offre un jeu de cartes assez diversifié », ajoute Pierre-Baptiste Fontaine.

Certains, environ 15 % des adhérents, se sont également lancés dans le blanc sec. Un moyen d’élargir la gamme tout en attirant des consommateurs a priori fermés aux liquoreux.

Excellence et modernité 

Sauternes et barsac ont aussi beaucoup communiqué pour moderniser leur image. L’objectif étant de ne plus être vu soit comme un produit de luxe, et donc inaccessible, soit comme un vin bu en famille à Noël avec du foie gras. Pour Vincent Labergère, « pendant très longtemps, sauternes a fait tout ce qu’il ne fallait pas faire d’un point de vue marketing ». « C’est-à-dire que vous expliquez que c’est un produit très compliqué à faire, très rare, et vous en faites un quelque chose d’ultra-élitiste que personne n’ose toucher tellement c’est précieux », développe le directeur du château Rayne-Vigneau (grand cru classé en 1855).

Vincent Labergère, directeur du château Rayne-Vigneau

Vincent Labergère, directeur du château Rayne-Vigneau.

© Château Rayne-Vigneau

Second problème selon lui, l’accent a été trop mis sur la capacité de garde de ces vins liquoreux. Mis bout à bout, les consommateurs ont intégré l’idée qu’il fallait attendre de longues années avant d’ouvrir une bouteille, et n’en consommer qu’avec parcimonie, voire une fois par an. « Si l’on suit cette logique, vous pouvez tenir 32 ans avec une caisse de 12, s’exclame Vincent Labergère. Mais aujourd’hui, l’objectif c’est qu’une caisse dure six mois ! » 

Faisant appel à une agence de communication, l’ODG a orienté sa stratégie sur la dualité entre l'excellence et la modernité. L’excellence de certains vins faits pour le vieillissement, destinés à des connaisseurs et à des moments particuliers. La modernité de vins jeunes, s’adressant à une cible plus large, pouvant être bus tout au long de l’année, à l’apéro, en cocktail, et avec toutes sortes d’aliments.

« Il y a une vingtaine d’années, quand on parlait d’accord met-vin, c’était systématiquement sucre/sucre, gras/gras, salé/salé, se souvient David Bolzan. Mais aujourd’hui, l’accord parfait, c’est le mélange des contrastes. Et à ce jeu-là, on est meilleurs que tout le monde parce que le sucre peut aller avec le salé, l’acide, l’amer, l’épicé. Bref, avec à peu près tout. »

Près de 15.000 abonnés sur Instagram 

Pour faire connaître ces atouts, sauternes et barsac n’ont pas pu s’offrir une campagne de pub à proprement parler. À la place, l’effort a été orienté vers les réseaux sociaux, notamment Instagram sur lequel le compte de l’AOC affiche 14.600 followers. « On connaît un grand succès en matière de communication, se félicite David Bolzan. Les autres appellations comme saint-émilion ou médoc, qui sont quand même des poids lourds, n’atteignent pas un tel nombre d’abonnés. » En effet, saint-émilion rassemble sur Instagram 10.000 followers, médoc et haut-médoc près de 6.200. 

Dégustation perchée au château Rayne-Vigneau

Rayne-Vigneau a été l'un des premiers châteaux à se lancer dans l'œnotourisme en proposant des activités ludiques comme des dégustations perchées en haut d'un arbre.

© Château Rayne-Vigneau

L’œnotourisme occupe une place centrale dans cette stratégie de dépoussiérage. « Je ne peux pas dire que toutes les propriétés se sont lancées, mais celles qui l’ont fait ont chacune un angle d’attaque précis », observe Pierre-Baptiste Fontaine. À côté du restaurant deux étoiles et de l’hôtel cinq étoiles de Lafaurie-Peyraguey, certains proposent des activités plus ludiques et plus familiales.

Dégustation perchée en haut d’un arbre chez Rayne-Vigneau, visite du vignoble en trottinette électrique au domaine Charrier-Carbonnieu, ou création d’un petit musée au château Laclotte-Cazalis. Ce dernier a également rénové des bâtiments afin d’accueillir des événements et des séminaires, souvent suivis d’une visite du domaine et d’une dégustation dans une salle dédiée.

Un âge d’or à venir ?

« On le voit grâce à la Maison du sauternes, dès que l’on crée du flux et que l’on fait goûter le produit, les gens repartent avec des bouteilles, et ce, tout au long de l’année. Le taux de transformation est extrêmement élevé », assure le directeur de l’ODG, qui attend beaucoup du projet de Cité du vin sauternaise (lire par ailleurs).

Outre l’œnotourisme, les vignerons jouent donc la carte de la proximité et du circuit court en retournant sur les Salons et les foires. Certains travaillent aussi intensément la CHR, « car c’est probablement là que notre vin est le mieux positionné, quand les restaurateurs le proposent au verre ».  

Brouilard Sauternes

La future Cité du vin sauternaise aura pour mission d'expliquer le phénomène à l'origine du botrytis.

© Château Rayne-Vigneau

Pierre-Baptiste Fontaine reconnaît que Sauternes « souffre d’un petit problème de distribution à la fois sur le nombre de points de vente et sur la saisonnalité attribuée à la vente de nos vins ». Mais il ne doute pas que ses atouts finiront par convaincre les acheteurs. De l’attrait des nouvelles générations pour le sucre, en passant par un bon rapport qualité-prix – à partir de 15 € le col –, ou encore la possibilité de ne boire qu’un verre et de conserver la bouteille plusieurs semaines au frigo.

Conscient que les chiffres de vente des années 1990 appartiennent au passé, le directeur de l’ODG se projette avec optimisme : « l’âge d’or de sauternes est devant nous, c’est ce qu’il faut espérer. »  

À quand une Cité du vin à Sauternes ? 

En gestation depuis plusieurs années, le projet d’une Cité du vin à Sauternes est toujours d’actualité. Moins grandiose que sa grande sœur bordelaise, elle en reprendrait la démarche pédagogique afin de raconter « le miracle de la nature » et le savoir-faire nécessaires à la fabrication du sauternes. « Nous avons besoin d’un pôle d’attractivité qui permette de générer du flux et de faire venir des gens qui iront ensuite acheter des vins dans les différents domaines de l’appellation », explique David Bolzan, le coprésident de l’ODG sauternes et barsac.

La phase d’études devrait bientôt se terminer et déboucher sur la création d’un concours d’architectes. Il est néanmoins encore trop tôt pour annoncer une date d’ouverture.

Les chiffres clés de l’appellation Sauternes et Barsac  

  • 5 villages (Sauternes, Barsac, Bommes, Fargues et Preignac) ;
  • 1.557 ha en 2023 ; 1.947 ha en 2015 ; 2.282 ha en 1995 ;
  • 140 vignerons en 2023 ; 185 vignerons en 2015 ;
  • 27 grands crus classés en 1855 ;
  • 25.000 hl produits en 2023 ; 25.000 hl en 2022 ; 35.634 hl en 2015 ; 46.994 hl en 1995 ;
  • 15 hl/ha produits en 2023 ; 25 hl/ha autorisés par le cahier des charges ;
  • 30 % de ventes à l’export (marchés prioritaires : UK, les Etats-Unis, le Benelux, l'Italie et le Brésil)