À Bordeaux, les crémants sont toujours en effervescence

Au milieu de la crise bordelaise, le succès des crémants paraît presque insolent. Tirées par des marchés demandeurs d’effervescents, les bulles bordelaises ont plus que doublé leur production en trois ans. Mais cette réussite fait naître des craintes de fraudes. 

Bordeaux fête le vin 2024, pavillon des crémants

Les crémants rosés pèsent 20 % de la production totale de crémants de Bordeaux. Ici lors de l'édition 2024 de Bordeaux fête le vin. 

© Fanny Laison

Née en 1990, l’appellation crémant de Bordeaux est restée relativement confidentielle jusqu’au milieu des années 2010. Mais « depuis sept ou huit ans, on est sur une progression significative », apprécie Dominique Furlan, président de l’AOC et de la cave Louis Vallon. Membre du groupe Bordeaux Families, la coopérative est la première productrice et élaboratrice de crémants de Bordeaux. Elle représente près de 40 % de la production.

« Une progression significative », c’est peu dire. Alors que les volumes s’établissaient à 10.000 hl en 2010 et à 55.000 hl en 2020, ils ont atteint 127.000 hl l’année dernière. Soit 3 % de la production totale de vin à Bordeaux, et 15 % de la production française de crémant, toutes régions confondues. Après un bond de près de 40 % entre 2022 et 2023, la production en 2024 devrait être assez stable. Les crémants de Bordeaux auraient-ils atteint un plafond ? « Notre stratégie, c’est de répondre à la demande, justifie le président. Si nos prospecteurs estiment que la demande va progresser, nous essayerons d’augmenter la production afin d’être prêts le moment venu. » 

La concurrence du prosecco et du cava 

Vendu 30 % à l’export et 70 % en France, principalement en grande distribution, le crémant de Bordeaux est environné de concurrents. Il y a bien sûr les crémants des sept autres régions productrices, mais il faut surtout se distinguer du cava espagnol et du prosecco italien. « Nous nous positionnons comme un produit qualitatif élaboré selon une méthode traditionnelle, sur le modèle de la Champagne, et qui demande un an et demi voire deux ans avant d’être mis sur le marché, insiste Dominique Furlan. Alors que les cavas et les proseccos sont bien souvent produits selon des méthodes industrielles, en cuves closes, et rapidement mis sur le marché. »

Portée par l’attrait des consommateurs pour les bulles, l’appellation s’étend aujourd’hui sur 1.500 ha. Sa surface a doublé par rapport à 2021. Selon le cahier des charges, les raisins destinés à faire du crémant peuvent être cultivés partout en Gironde. Mais les deux principaux bassins de production sont le nord du département, et surtout l’Entre-deux-Mers. Où l’effervescent bordelais trouve tout ce dont il a besoin. C’est-à-dire des terroirs profonds, des vignes productives et vigoureuses, et un encépagement axé sur le sauvignon blanc et le sémillon. 

Craintes de fraude 

Alors que 80 % de la production est assurée par des caves coopératives, les viticulteurs engagés touchent une rémunération de 1.600 € le tonneau. De quoi alimenter les espoirs dans une région viticole en crise structurelle. « Le crémant c’est un peu la lumière dans le paysage local, constate Dominique Furlan. Mais il ne pourra pas sauver toute la viticulture bordelaise, et il faut que ce marché reste rentable pour ceux qui le pratiquent correctement. » 

Comprendre : l’appellation a conscience que le succès des crémants de Bordeaux pourrait attirer des opérateurs peu scrupuleux de respecter le cahier des charges. Celui-ci impose notamment des vendanges manuelles. Soulignant que ce ne sont pour le moment « que de la suspicion », le président de l’AOC craint que « des individus » exploitent la misère présente dans le vignoble dans le but de proposer des produits à moindre coût. Combatif, il prévient : « Nous allons mettre une grosse pression sur les contrôles car il est hors de question que ce genre de concurrence s’installe et détruise le travail de plusieurs années. »

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