« Les fourragères sont depuis longtemps un axe stratégique pour RAGT semences », explique Tristan Jacquin, chef des ventes semences fourragères et cultures de service de l’entreprise aveyronnaise. « Nous sélectionnons les graminées depuis 1970, les légumineuses depuis 1998. Et nous allons continuer. »
« L’herbe sera toujours la base des rations »
Même tonalité chez Cérience :
« Nous croyons à la pérennité de la prairie dans les systèmes fourragers de demain. L’herbe sera toujours la base des rations, mais il y aura des évolutions pour maintenir la productivité et la qualité, décrit Laurent Victor, responsable marketing de l’entreprise. On observe déjà des adaptations chez les éleveurs depuis quelques années : une tendance à faire plus de stocks, à récolter de l’herbe en dérobée et des méteils fourragers et à faire un peu moins de maïs fourrage. »
Une moyenne de 15 ans
Ces adaptations de pratiques permettent aux éleveurs de bovins d’assurer encore aujourd’hui leur autonomie fourragère (à plus de 90 % en moyenne). Mais il leur faudra bientôt d’autres leviers, en particulier ceux apportés par la recherche semencière.
« Entre les premières étapes de la recherche et la mise en marché d’une variété, il s’écoule en moyenne 15 ans », explique Laurent Victor. Ce qui signifie que les variétés sur lesquelles travaillent aujourd’hui les obtenteurs seront celles cultivées à partir de 2039.
Chaud et sec en été, doux et pluvieux en hiver
Difficile de prédire quel sera le climat en France autour des années 2040. Mais la trajectoire actuelle est celle du scénario le plus pessimiste du Giec : elle aboutit à une hausse des températures mondiales de 3,2 à 5,4 °C à la fin du siècle (par rapport à la période 1986-2005).
Le changement de répartition des pluies est très probable, avec, pour la France, davantage d’eau en hiver, moins en été, et beaucoup d’inégalités entre régions.
Ne pas mise sur des espèces « miracles »
« On essaye d’anticiper les tendances », décrit Laurent Victor, « on s’attend à un décalage de la production des espèces prairiales, avec une productivité moindre en été et davantage de production automnale, voire hivernale ».
Ni Cérience ni RAGT ne croient à une arrivée massive d’espèces exotiques, parfois présentées comme « miracles ». Tous deux misent sur les espèces classiques : « Notre matériel végétal actuel a la capacité de s’adapter », assure Laurent Victor.
Ce matériel est déjà abondant et diversifié : chez RAGT, les programmes de sélection concernent le RGI (alternatif et non alternatif, en 2n et 4n), le RGH (2n et 4n), le RGA (avec différentes précocités, 2n et 4n), le dactyle, la fétuque élevée, le brome cathartique et sitchensis. Côté légumineuses, les espèces luzerne, trèfle violet et trèfle blanc font aussi l’objet de programmes dédiés.
Compenser les « défauts » sans dégrader les qualités
La sélection des ray-grass porte surtout sur leur tolérance à la chaleur et leur capacité de reprise avec une période de sécheresse. Cette tolérance est plus élevée chez le dactyle et la fétuque, mais elles n’ont pas les qualités nutritionnelles et d’appétence des ray-grass. « Sur la fétuque élevée, on améliore la souplesse de la feuille. Sur le dactyle, on travaille sur l’allongement de la période entre le départ en végétation et le début d’épiaison. Sur ces deux espèces, nous travaillons sur la rapidité d’installation », explique Tristan Jacquin.
Sur le trèfle blanc, le semencier suit la piste de variétés géantes qui pourraient augmenter les rendements en fauche notamment. En outre, l’évolution climatique devrait favoriser les attaques fongiques sur les espèces prairiales en automne-hiver et au printemps. « Nous cherchons des tolérances à verticilium et sclérotinia. »
Réduire les dormances d’hiver
Pour assurer de meilleures productions annuelles, la piste de réduction des dormances d’hiver est aussi étudiée par les deux semenciers sur les ray-grass et sur la luzerne. « Cette espèce, c’est le fer de lance de Cérience », rappelle Laurent Victor. « Nous avons déjà une génétique forte et reconnue. Nous travaillons en particulier à faire évoluer la dormance, à la passer d’un niveau 4 à un niveau 6. Les aspects de tolérance aux maladies et aux parasites et la qualité alimentaire sont également travaillés. »
L’une des autres spécialités de Cérience, ce sont les mélanges multi-espèces pour les prairies. « Nous misons sur la complémentarité des précocités, des ports de végétations, des capacités à couvrir le sol », décrit Laurent Victor.
Le principe global est que les performances d’une prairie multi-espèces sont supérieures à la somme des performances de chaque espèce, ou même de chaque variété : « Nous exploitons la variabilité intraspécifique pour avoir des phénotypes différents. Ainsi, un mélange prairial peut désormais comporter 10 à 12 variétés différentes au total ! » L’objectif est de pouvoir concilier rendement, qualité, résilience et équilibre du mélange dans le temps.
Recherche variétale : des budgets et des moyens importants
RAGT consacre 18 % de son budget à la recherche variétale. Pour les fourragères, elle dispose de cinq stations de recherche : Druelle (12), Montours (35), Villampuy (28), Annœullin (59) et Neers (Pays-Bas) et d’un réseau d’essai européen.
Cérience réalise sa recherche sur les espèces fourragères dans le cadre du GIE Grass qu’elle détient avec Lidea. Elle dispose d’une station de sélection fourragère à Saint-Sauvant (86) et d’un réseau national et international d’essais.