En France, des vins faiblement alcoolisés avec des degrés inférieurs à 11 sont ponctuellement lancés sur le marché. Pour modérer la teneur en alcool de ces vins, les techniques mises en œuvre par les opérateurs sont variées ; désalcoolisation partielle pour les uns, vendanges précoces pour les autres. Les deux stratégies pouvant d’ailleurs s’associer.
Bien qu’aucune définition officielle ne borne le segment des vins faiblement alcoolisés, un consensus tacite y regroupe les vins présentant un degré inférieur à 11 degrés. Sur ce marché de niche pour lequel la demande est encore à construire, des opérateurs français s’investissent.
Le dernier en date est le domaine Tariquet. « Depuis plus de dix ans, nous avions en tête de produire un vin blanc sec ayant un degré inférieur à 10 % d’alcool, obtenu naturellement, sans désalcoolisation », introduit Armin Grassa, représentant de la cinquième génération familiale à la tête du domaine Tariquet. C’est chose faite cette année, avec le lancement de la cuvée Imprévu, dont le degré alcoolique final est de 9,5 % seulement. « Techniquement, obtenir un tel degré est pour nous assez facile. Le climat océanique que l’on connaît sur le domaine, à cheval entre le Gers et les Landes, associé à des terroirs de sols légers, fait que nos vignes sont rarement en stress hydrique, détaille Armin Grassa. Tous les vins blancs du domaine tirent parti de cette situation. Classic, l’une de nos cuvées emblématiques – avec un assemblage ugni blanc, colombard, sauvignon et gros manseng – titre naturellement entre 10,5 et 11 degrés. Avec un choix de cépages appropriés, nous pouvons élaborer des vins blancs encore plus légers en alcool. Imprévu en est la conformation. »
Récolter plus tôt des cépages peu alcooleux
L’ugni blanc fait partie des « élus » de cette cuvée à faible degré d’alcool. Ce cépage, socle des armagnacs produits dans la région gasconne, entre à hauteur de 45 % dans l’assemblage d’Imprévu. « L’ugni blanc est récolté autour de 9 % d’alcool potentiel. Les parcelles qui servent à la cuvée Imprévu sont menées en tout point comme les parcelles d’ugni blanc d’armagnac. Seul l’objectif de rendement est différent : 85 hl/ha contre 120 hl/ha. La taille est en Guyot double pour les bas-armagnacs et en Guyot simple pour les vins blancs en bouteilles. Cela nous permet d’élaborer des vins plus structurés, plus aromatiques sur des profils exotiques. »
Pour renforcer la trame aromatique de l’ugni blanc, le riesling y est associé. « En 2010, nous avions décidé de planter 16 hectares de riesling à 4 500 pieds/hectare, sur des sols profonds et frais. Dans la famille, nous aimons les vins d’Alsace et nous voulions voir le comportement de ce cépage au fort potentiel aromatique sur le domaine. Aujourd’hui, ces vignes sont à maturité, et on constate que dans nos conditions pédoclimatiques, avec un rendement de 60 hl/ha, le riesling ne monte naturellement pas en degré. Pour Imprévu, nous agissons uniquement sur la date de récolte qui intervient deux semaines avant celle prévue pour d’autres usages. »
« Aujourd’hui, les vignes de riesling sont à maturité, et on constate que dans nos conditions pédoclimatiques, avec un rendement de 60 hl/ha, le riesling ne monte naturellement pas en degré »
L’itinéraire en cave montre plus de défis. Chaque cépage bénéficie d’une macération pelliculaire de douze heures. Après le pressurage, les jus sont conservés deux semaines en stade préfermentaire au froid sur bourbes fines avec agitation « afin d’obtenir davantage de fruit primaire, mais aussi pour apporter de la structure, explique Armin Grassa. Les deux cépages sont ensuite assemblés et co-fermentés. Le vin est élevé dix semaines sur lies fines en cuves Inox avec agitation quotidienne. Cette étape permet d’amplifier la structure de ce vin qui se veut savoureux, malgré une récolte précoce, en lui apportant du gras tout en restant complètement sec, sans sucres résiduels. »
Avec cette dernière caractéristique, Imprévu, du domaine Tariquet, se distingue d’autres vins naturellement faibles en alcool.
Naturellement, en jouant sur le sucre
À la cave coopérative de Buzet, dans le Lot-et-Garonne, Nuage, une cuvée confidentielle proposée en blanc et en rosé, présente ainsi 4 g de sucre par litre de vin. « Les cépages qui entrent dans ces vins, que nous produisons en très petits volumes, sont récoltés un peu plus tôt. Par ailleurs, la fermentation alcoolique n’est pas complète. Le vin final est très légèrement sucré, ce qui vient balancer l’acidité et permet de retrouver un équilibre avec un degré d’alcool de 10,5 », explique Sébastien Bourguignon, le directeur marketing de la cave.
Dans le Languedoc, les domaines Auriol jouent eux aussi sur le sucre pour l’élaboration de la cuvée Belles du Sud, lancée au printemps 2020. Pour ce rosé proposé à 10,5 degrés d’alcool, un peu de moût concentré de muscat est rajouté. « En édulcoration, ce qui amène le vin final à 3 g de sucres résiduels par litre et apporte des notes de “bonbon anglais” à notre base de cinsault récolté à 10-10,5 degrés d’alcool potentiel, une semaine avant la date de vendange “classique” du cépage chez les vignerons partenaires, explique Thomas Verdeil, le directeur achat vin et production des Domaines Auriol. Le cinsault se prête bien à l’élaboration de vin à faible degré d’alcool dans une région comme le Languedoc. C’est un cépage productif qui peut donc naturellement faire des vins peu alcoolisés. Pour accentuer cette caractéristique, nous demandons aux vignerons de ne pas pratiquer un écimage et un rognage trop sévères. »
« Dans le cas des vins avec un degré d’alcool naturellement bas, tout est une question d’équilibre. D’une manière ou d’une autre il faut compenser l’acidité »,
La désalcoolisation partielle : alternative ou complément
« Les trois stratégies sont cohérentes dans les contextes qui y sont associés. Dans le cas des vins avec un degré d’alcool naturellement bas, tout est une question d’équilibre. D’une manière ou d’une autre il faut compenser l’acidité, estime Philippe Cottereau, de l’IFV Occitanie. Les leviers sont divers et complémentaires : ajouter du sucre, conserver du sucre, choisir des cépages adaptés à bon potentiel de rendement et/ou qui, à faible maturité technologique, ont un potentiel aromatique intéressant, qui ne donnent pas de goût “vert”. En alternative ou en complément de ces méthodes, il y a la désalcoolisation partielle. Depuis 2009, des méthodes soustractives sont autorisées, l’osmose inverse ou nanofiltration couplée soit à la distillation soit à un contacteur à membranes. »
Les domaines Auriol, précédemment cités, ont fait partie des précurseurs en la matière. En 2009, l’entreprise audoise lançait sa première référence allégée, So Light, déclinée en rouge, blanc et rosé. « Instant n° 9 a pris la suite. Le marketing a été totalement revu, et nous nous sommes recentrés sur le sauvignon pour le blanc et le cinsault vinifié en rosé, précise Thomas Verdeil, des Domaines Auriol. Comme le nom de la gamme l’indique, le degré d’alcool est de 9. Pour y parvenir, nous prenons soin de bien sélectionner la matière première que constituent les raisins. Nous utilisons des raisins qui présentent naturellement un faible degré d’alcool potentiel. Le sauvignon vient de Gascogne, un vignoble dans lequel il est bien plus simple de faire un vin à 10-11 que dans le Languedoc ! Le cinsault provient des mêmes vignerons partenaires chez lesquels nous nous sourçons pour le rosé Belles du Sud. Les vins ont donc un degré faible. Sur cette base de vins, nous effectuons une désalcoolisation partielle réalisées par le prestataire Gemstab. »
Installé près de Nîmes, Gemstab est spécialiste des traitements membranaires. Pour extraire l’excès d’alcool dans les vins, deux techniques développées et mises en place par Oenodia sont associées. L’osmose inverse permet d’extraire du vin traité un perméat composé essentiellement d’eau et d’alcool. Les autres composés du vin ayant un poids moléculaire plus important sont conservés dans le rétentat de l’osmose inverse (vin concentré). Dans un procédé continu, le perméat riche en alcool passe sur un contacteur membranaire. Désalcoolisé, il est alors réincorporé simultanément dans la fraction de « vin concentré par osmose ».
Cette ultime étape permet de séparer l’alcool sans perte d’eau. « Avec cette méthode, on soustrait uniquement de l’éthanol, précise Éric Lecoeuvre, directeur de l’entreprise Gemtab. Si l’on prend 10 hl de vin que l’on souhaite faire passer de 12 à 10 degrés, la fraction retirée est seulement de 22 l. Chaque année, sur toute la France, nous traitons environ 100 000 hl de vin en désalcoolisation partielle. Quatre cas de figure nous sont généralement présentés : des vins de base pour effervescents avec un degré trop important pour une prise de mousse sereine, des lots de vin à ajuster au même niveau d’alcool pour rationaliser l’étiquetage, des vins élaborés par des vignerons ne souhaitant pas que la date de récolte soit conditionnée par la maturité technologique. La désalcoolisation partielle, dans ces cas, permet de retrouver un meilleur équilibre alcool-acidité-pH en ajustant le degré d’alcool aux environs de 13. Enfin, il y a la demande pour réaliser des vins avec un faible degré d’alcool. C’est une niche, mais la tendance s’affirme, notamment sur les rosés. »
Le concept marketing prend le dessus sur la technique au domaine Auriol
En 2009, les domaines Auriol lançaient leur première gamme de vins à faible degré d’alcool, avec So Light. « Mais nous avons rencontré des problèmes administratifs avec la mention « light ». Et les arguments de vin faiblement alcoolisé et peu calorique, s’ils attisent la curiosité, ne fidélisent pas », relate Claude Vialade, à la tête des Domaines Auriol.
Depuis deux ans, l’entreprise audoise a donc changé son fusil d’épaule pour promouvoir ses vins à faible teneur en alcool sur le marché français. Dans la communication entourant la cuvée « Belles du Sud », il n’est plus question de désalcoolisation ou de calories. Les 10 degrés du rosé sont obtenus naturellement. Mais l’argument commercial phare de cette cuvée est ailleurs, dans le co-branding signé avec la marque toulousaine de bijoux Nach.
Chaque carton contient 6 bouteilles, chacune présentant une étiquette différente avec un animal issu de l’univers de Nach. « Le concept marketing a pris le pas sur la technique. En 10 ans, le marché français a évolué. Notre communication aussi. Et c’est un succès. ». Cet été l’objectif de vente du rosé « Belles du Sud » a été multiplié par trois passant à 130 hl sur le secteur traditionnel.
Une ouverture sur la grande distribution est prévue avec une marque nommée « Ciel et Mer ».
Article paru dans Viti Leaders n°461 de mai-juin 2021