L’offre des vins « no-low » se construit aussi en France

Alors que la bière a massivement investi le secteur, les boissons à base de vin sans alcool ou à faible teneur en alcool demeurent une petite niche en France. Qui pourrait bien devenir grande.

Près d’un Français sur trois a acheté une boisson désalcoolisée en 2020, pour un budget de 20 euros dans l’année. Ils n’étaient qu’un sur cinq en 2016 (source : Kantar). En cinq ans, les boissons désalcoolisées ont séduit deux millions de foyers acheteurs en plus, pour des volumes en hausse de + 56 %. Une tendance portée par les jeunes adultes : les 18-25 ans sont 40 % à déclarer en consommer. Ils ne sont que 14 % chez les 50-65 ans. Cet engouement serait-il le signe d’un autre rapport à l’alcool qui se développe dans la population française ? C’est ce que semblent penser les observateurs des marchés. « Les bières sans alcool sont passées d’une consommation contrainte à une consommation volontaire », résume ainsi la directrice des affaires publiques de Kronenbourg.

Dans ce marché des boissons avec les codes de l’alcool, mais qui n’en contiennent pas ou peu, la bière se taille la part du lion. En France, 22 % des foyers français achètent déjà de la bière sans alcool contre 0,6% pour le vin (4,1% pour les effervescents et 8% pour les spiritueux). À l’échelle mondiale, la bière et le cidre représentent 75 % du marché en volume, selon IWSR. Le vin prend la troisième place. Les spiritueux sont peu présents, mais enregistrent la croissance la plus forte, avec le lancement récent de nombreux produits par les marques telles que Gordon’s, Ballantines...

Démarrage prometteur

Pourquoi les vins demeurent en retrait ? Sont-ils juste en retard ? Est-ce une affaire de goût ? « Ce ne sont pas les mêmes produits et il faut être bien clair vis-à-vis du consommateur », insiste Jean-Philippe Braud, fondateur du site www.gueuledejoie.com, premier opérateur exclusivement sur le créneau des boissons peu ou pas alcoolisées. Le jeune entrepreneur a lancé sa e-boutique en juillet 2019. Le démarrage est prometteur, avec 150 000 bouteilles vendues l’an dernier (toutes boissons confondues), pour 350 000 euros de chiffre d’affaires. Le site propose 250 références, dont 50 à base de vin.

« Plus le degré initial est élevé, plus il est difficile de produire une réplique exacte du produit initial », estime Rob Fink, co-fondateur de Big Drop Brewing (4 millions de bouteilles de bières sans alcool ou à 0,5 % vol. vendues l’an dernier). C’est sans doute une des raisons pour laquelle les boissons à base de vin désalcoolisé occupent une plus faible part de marché pour l’instant. « Nous constatons beaucoup de curiosité et d’attentes autour du vin désalcoolisé : les clients espèrent retrouver la même qualité, la même expérience… mais ce n’est pas la même chose ! C’est différent, mais c’est quand même très bon », insiste Jean-Philippe Braud. Pour le site Gueule de joie, le vin constitue 45 % des ventes réalisées l’an dernier et la fidélisation prend plus de temps.

Jean-Philippe Braud, fondateur du premier site  d’e-commerce dédié aux boissons sans alcool,  a vendu 350 000 bouteilles l’an dernier. Photo : Gueule de JOIE

Développement de l’offre

« Toute la problématique va être de proposer la boisson adaptée au profil du consommateur », résume-t-il. À ceux qui recherchent la naturalité, mais ne sont pas connaisseurs du vin, les boissons à base de moût non fermentés. Elles vont apporter moins de sucre que les jus de raisin. Aux connaisseurs plus exigeants, les vins désalcoolisés, qui conservent de nombreuses caractéristiques du vin : les tanins, les arômes, la minéralité…

Si les confinements et le télétravail ont pu créer un contexte favorable à la modération, « la dynamique est toujours là », estime Jean-Philippe Braud, qui se concentre pour l’instant sur le B to C, mais reçoit une demande quotidienne de la part des professionnels, notamment les cavistes. « Le développement du marché passe par un développement de l’offre », analyse-t-il.

Quatre profils de consommateurs


ILS SUBSTITUENT. Je consomme des boissons désalcoolisées dans certaines occasions (repas informel, pendant la journée, après le sport...), des alcoolisées dans d’autres.
ILS ESSAIENT. Je consomme des boissons alcoolisées d’habitude et j’ai déjà essayé occasionnellement des désalcoolisées.
ILS MÉLANGENT. J’ai l’habitude de passer des boissons alcoolisées à des désalcoolisées ou faiblement alcoolisées quelle que soit l’occasion.
ILS S’ABSTIENNENT. j’évite complètement l’alcool.
Source : IWSR

 

8 % des volumes vendus

Répondre au marché, c’est ce qui a poussé le Domaine de l’Arjolle (Hérault) à se lancer dans la production de vins désalcoolisés depuis deux ans. « Il y a une demande qui n’existait pas auparavant, mais qui est bien réelle maintenant », témoigne Geoffroy de la Besnardière, un des associés du domaine. Ayant constaté que le marché de la bière sans alcool se développait et forts d’un esprit pionnier, les associés proposent désormais une gamme complète, baptisée « Zéro ». Avec succès. En deux ans, les ventes sont passées de zéro à 8 % des volumes vendus.

Le domaine de l’Arjolle propose quatre références : un blanc (viognier/sauvignon), un rosé (syrah/cabernet), un rouge (merlot/grenache) et un effervescent (chardonnay). Les cuvées sont vinifiées classiquement, puis la désalcoolisation se fait par évaporation sous vide à 30°C, par prestation. Côté profil sensoriel, « on reste dans l’univers du vin : on retrouve la fraîcheur, les arômes, les cépages... mis à part la longueur en bouche. Ce n’est pas comme du vin, mais du vin, presque », a l’habitude de dire Geoffroy de la Besnardière.

Des ventes additionnelles

Les bouteilles sont commercialisées à 8,20 € TTC prix public, 9,90 € pour l’effervescent. Les clients ? Ce sont les mêmes que les acheteurs traditionnels : 70 % à l’export auprès de cavistes (Pays-Bas, Suisse, Irlande, Bulgarie, Pologne, bientôt Canada), 30 % en France, chez les cavistes et au caveau du domaine. Quant aux consommateurs finaux, Geoffroy de la Besnardière distingue quatre profils : les femmes enceintes aimant le vin et pour qui les désalcoolisés représentent une alternative au jus de fruits sucrés, les personnes qui ne peuvent plus boire de vin pour raison médicale, celles qui souhaitent alléger leur consommation d’alcool et celles qui ne boivent pas d’alcool pour des raisons religieuses.

Pour les cavistes comme au domaine, ces produits ne cannibalisent pas le vin. Au contraire, ils génèrent des ventes additionnelles : c’est la bouteille achetée en plus pour penser à tous ceux qui ne boivent pas d’alcool lors d’un repas de famille, par exemple. « Dans 80 % des cas, ces produits ne remplacent pas le vin, mais d’autres boissons, résume le vigneron. Ce sont des produits complémentaires et c’est une chance à saisir pour le vin comme possibilité de diversification », estime-t-il.

 

L’Allemagne championne du no-low


La tendance no-low, visible dans notre pays, est déjà bien développée dans d’autres pays. L’IWSR, qui a étudié dix marchés clés, estime le marché global à un peu moins de 10 milliards de dollars en 2021, contre 7,8 milliards en 2018. Selon cette étude, la croissance va atteindre 8 % par an d’ici 2025 pour ce segment, contre 0,7 % pour les boissons alcoolisées. L’Allemagne est le pays où le no-low est le plus développé : en volume, il pèse plus de trois fois plus que le marché suivant, l’Espagne. Les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni prennent la suite. L’Allemagne et l’Espagne sont des marchés plus matures et ont connu une croissance de 2 % l’an dernier, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni sont en plein boom, avec 31 et 17 % de croissance.

 

Que dit la réglementation ?


À partir du 1er janvier 2023, les vins désalcoolisés et partiellement désalcoolisés seront officiellement autorisés dans l’Union européenne. Jusqu’à présent, le titre alcoométrique minimum d’un vin était fixé à 8,5 % vol. pour les zones A et B, 9 % vol. pour les autres zones. Les AOC et IGP pouvaient, sur dérogation, descendre jusqu’à 4,5 % vol. La désalcoolisation était limitée à 20 % du degré initial pour les vins sans IG et les IGP (soit de 15 à 12 % vol. par exemple). Les AOC, quant à elles, étaient limitées à 2 % vol. (soit de 15 à 13 % vol., par exemple).
Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Pac, Les vins sans indication géographique seront autorisés à descendre en dessous de 0,5 % d’alcool. Les IGP et AOC se verront accorder le droit de désalcooliser jusqu'à un taux d'alcool de 8,5 % (il appartiendra à chaque appellation de décider d’adopter ou non ces changements).