RH & emploi • Face à certains métiers en tension, des solutions souvent complexes

Dans les coopératives et les négoces agricoles, les différents postes autour des silos ont du mal à trouver preneur, de même que ceux du conseil et du commerce. Les employeurs étendent leurs recherches RH à d’autres secteurs, misent sur la formation en interne et pratiquent le débauchage. Mais rien n’est tout à fait satisfaisant.

Young people hiding faces behind paper sheets with question mark

Si  la poursuite du mouvement de consolidation permettra de venir en partie à bout des tensions dans certains métiers liés à l'agriculture, les stratégies adoptées actuellement par les employeurs ne donnent pas entièrement satisfaction.

© Pixel-Shot/Adobe Stock

Le paradoxe est de taille. C’est peut-être la poursuite du mouvement de consolidation (fusion entre coopératives agricoles, rachats de négoces…) qui permettra de venir en partie à bout des tensions qui sévissent actuellement dans certains métiers liés à l’agriculture.

Peu de chiffres existent, et encore moins de prévisions, mais selon Thierry Combet, délégué régional de l'Apecita au bureau de Toulouse, dont l’expérience de terrain touche plusieurs régions de France, les postes non pourvus et les offres d’emploi finalement abandonnées faute de candidats abondent.

Surcroît de travail pour les équipes

« Les premières solutions que les employeurs mettent en place sont de répartir la charge de travail sur les équipes existantes ou de la redéployer géographiquement », explique-t-il. Avec deux inconvénients majeurs : surcroît de travail pour les collaborateurs et territoires parfois quelque peu délaissés.

S’ouvrir à d’autres profils

De même, au-delà de l’alternance, solution appréciée pour former un jeune et espérer le retenir ensuite en CDI, l’option parfois mise en place ou envisagée prend la forme d’une étude plus fréquente, voire de la sollicitation de candidatures éloignées du profil initialement recherché, en interne ou en externe.

Il s’agit là de former ou de reconvertir des professionnels en poste grâce à des formations et un accompagnement adapté ou de s’appuyer sur des compétences transversales. Cas récent évoqué par le spécialiste de l’Apecita : une entreprise « leader dans la filière », qui étudie très sérieusement l'option de donner sa chance à un commercial spécialisé en informatique.

Certes, il n’a jamais vendu d’intrants agricoles, mais sa réelle aisance relationnelle, son souci de découvrir et de comprendre les enjeux et son ancrage sur la zone rurale concernée lui ont permis d’engager un processus de recrutement inimaginable il y a encore peu…

L’encadrement est clé

Mais encore faut-il encadrer les nouveaux venus dans la profession pour qu’ils réussissent. Or, les cadres, eux aussi surchargés de travail, n’en ont pas forcément le temps. In fine, ces stratégies ne peuvent donner satisfaction que si elles sont pensées et réalisées avec des moyens et dans la durée, selon Thierry Combet.

Le débauchage, un sport prisé, mais dangereux

Reste enfin « le mercato », qui consiste à aller débaucher du côté de la concurrence. Mais, là aussi, méfiance.

« C’est une stratégie qui n’est pas sans risque, décrit l'expert de l'Apecita. D’abord parce qu’une entreprise qui s’est fait "voler" un salarié, s’empressera de "rendre la pareille" à l’organisation prédatrice dès qu’elle le pourra, et ensuite, parce que cela donne souvent lieu à une surenchère salariale et de conditions de travail "sur mesure" qui peuvent nuire à la cohésion des équipes. »

Sur ces derniers mois, même si les profils rares gardent la main au sein d’une conjoncture plus difficile, certaines démarches de ce type ont fini par être abandonnées compte tenu de l’écart d’attentes entre les deux parties, d'après Thierry Combet.

Une image écornée

La situation est donc délicate et le mouvement de grogne des agriculteurs au début de l’année ne va pas aider à renouveler le vivier de profils. Cette crise a en effet mis en avant une réalité des professions agricoles faite de contraintes et de manque de reconnaissance…

« Et dans ce contexte, il est plus difficile pour les structures coopératives et les négoces, parfois de petite taille, de totalement offrir les conditions de travail que les salariés réclament désormais, sous forme de télétravail ou de flexibilité notamment. En période de collecte, par exemple, pas question de compter ses heures, la disponibilité doit être au diapason de la récolte », indique l’expert de l’Apecita.

Des jeunes parfois frustrés

De plus, « les jeunes en particulier, qui se lancent dans ces professions, sont parfois déçus, ajoute-t-il. Intéressés par la lutte contre le dérèglement climatique et le respect de l’environnement, ils rêvent d’enjeux centrés sur le biocontrôle, par exemple, alors que la demande est encore très majoritairement fondée sur des besoins plus classiques. »

D’ailleurs, cette envie s’illustre aussi par le choix de stage qu’opèrent les étudiants : les start-up du secteur ont bien plus de chances de trouver des candidats que des organisations traditionnelles. Autant de possibilités d’accueillir un jeune qui s’évanouissent pour les coopératives et les négoces. Et ce décalage entre ce que veulent les jeunes et ce que propose le secteur de l’amont en agriculture ne favorise pas non plus le recrutement.

Des profils Bac + 2 qui n’existent plus

Enfin, autre fossé qui ne cesse de se creuser, celui de la formation. « Les coopératives et les négoces visent des Bacs + 2 et 3 », relève ainsi Thierry Combet. Or ces profils « n’existent plus. Un étudiant qui a la capacité d’aller jusqu’à Bac + 5 ne s’intéresse pas aux fonctions commerciales autres qu’ingénieur d’affaires ou responsable marketing. Quant à ceux qui décrochent un BTS, ils se voient trop souvent comme ouvriers agricoles, avec le permis PL pour objectif ».

En attendant que la situation de l’emploi se décante « grâce » à la consolidation en cours, les entreprises reviennent aux fondamentaux et priorisent l’appui à travers des formations « sur-mesure » pour conforter et professionnaliser des équipes plus hétérogènes. Avec, par exemple, l’accompagnement du réseau Motival plébiscité par de nombreuses structures de la filière, selon Thierry Combet. On peut aussi espérer qu’une nouvelle vision de l’agriculture attire à l’avenir davantage de talents…


>>> Retrouvez les articles de la semaine spéciale RH & Emploi du 3 au 7 juin sur Circuits culture  !

  1. Face à certains métiers en tension, des solutions souvent complexes
  2. Terres du Sud forme l’ensemble de ses 250 managers
  3. Cinq conseils pour rédiger une offre d’emploi efficace grâce à l’IA
  4. Laurent Martel, InVivo : « Le pas de temps de la coopération laisse plus d’autonomie »
  5. La RSE, nouveau must pour séduire
  6. Sur les réseaux sociaux, coopératives et négoces récompensent et fidélisent les salariés
  7. L'alternance, un vivier apprécié