« Pour produire, les vaches doivent passer beaucoup de temps couchées, et l’idéal, en matière de couchage, ça serait le sable… ce n’est pas pour rien qu’il y a autant de Français qui vont à la plage en été ! plaisante Étienne Adam, associé du Gaec en charge du management du troupeau. Mais le sable est abrasif et pas évident à gérer dans un bâtiment d’élevage. Nous avons choisi ce qui s’en rapproche le plus, du lisier déshydraté et hygiénisé. »
Visuellement, le produit ressemble à de la terre fine. Il n’a pas d’odeur. Les vaches s’y étendent volontiers et adoptent des postures naturelles dans leurs logettes. « Si on renverse un liquide sur de la paille, des rigoles et des écoulements se forment. Le lisier déshydraté fonctionne comme un buvard de haute capacité », ajoute l'éleveur.
Autonomie pour le paillage
« L’autre énorme avantage de ce système, c’est qu’il nous évite en grande partie la gestion de la paille : achats, stockage, fumier… à l’échelle de notre grand troupeau conduit en stabulation intégrale, ça représente une place importante en bâtiment, un investissement finalement peu productif. Rien que pour nos vaches taries, qui sont logées en aire paillée, il nous faut à peu près 15 ha céréales ! »
Sur le plan technique, le principal bâtiment d’élevage est une stabulation libre, ouverte sur les côtés, de 291 places en logettes dos-à-dos de part et d’autre d’un couloir d’alimentation central, associée à une aire d’exercice extérieure non couverte d’environ 320 m². L’ensemble des couloirs de la stabulation est raclé en système lisier vers une fosse sous caillebotis située sous cette aire extérieure.
Un second bâtiment, réservé aux vaches laitières nécessitant un suivi particulier (insémination, préparation au vêlage, soins…), dans le prolongement du premier, obéit au même principe d’organisation et de raclage : il dispose de 44 places en logettes dos à dos.
« Dans le bâtiment principal, nous avons disposé l’arrêtoir pour que les vaches bousent bien en dehors de la logette. Nous garnissons vraiment bien les logettes, de telle sorte que le couchage soit super confortable. Dans le second bâtiment, l’arrêtoir n’est pas autant reculé, pour permettre aux vaches de se rétablir : c’est un compromis avec le temps passé à nettoyer », expose l’éleveur.
Thermisation de la fraction solide
Les lisiers des couloirs de ces deux stabulations, stockés dans la même fosse, sont pompés pour passer dans un séparateur de phase à rouleaux qui permet d’obtenir un produit solide à 35 % de matière sèche, et la phase liquide est stockée dans une fosse secondaire. « Ce qui nous permet, en cas de besoin si le lisier de la fosse principale est trop épais pour la séparation de phase, de le diluer jusqu’à la consistance voulue. »
Après la séparation de phase, la fraction solide est poussée dans un cylindre en rotation, à l’intérieur duquel elle monte en température par fermentation. « Ça ressemble à une bétonnière : la durée du séjour est de 8 heures à 60 °C. Cette hygiénisation peu coûteuse en énergie nous permet d’éliminer les pathogènes éventuels et d’obtenir un produit quasiment inodore. Pour plus de sûreté, nous le mélangeons encore avec de la chaux. Nous l’utilisons dès le lendemain », détaille Étienne Adam. Cinq fois par semaine, les logettes creuses sont remplies au godet désileur avec ce lisier déshydraté et thermisé. Les besoins des deux bâtiments correspondent à 20 godets de 2,5 m3 par semaine.
L’art délicat de la séparation de phase
La maîtrise de la fabrication du lisier déshydraté a nécessité un certain apprentissage aux associés. « Nous faisons partie des premiers à avoir mis en place ce type de système, reconnaît Étienne Adam, ce qui fait qu’on a essuyé les plâtres. Mais c’est sans regret. Si c’était à refaire, on s’équiperait à l’identique. Ce qui est délicat, c’est d’arriver à une gestion fine du produit, au niveau de la matière première qui rentre. Si j’avais un conseil à donner, c’est de prévoir impérativement une fosse sous le caisson de séparation de phase, de manière à récupérer le lisier en cas de casse… Ça peut arriver ! Même s’il y a des capteurs de pression qui doivent mettre le système à l’arrêt en cas de problème, ce n’est pas infaillible. Ici, on n’utilise désormais le séparateur de phase plus que pendant la journée, quand il y a quelqu’un sur le site, pour éviter tout problème de fuite du lisier dans l’environnement. »
L’ambiance olfactive et sonore du bâtiment principal est surprenante de calme et de sérénité. À 11 h du matin, la plupart des vaches sont couchées dans les logettes. Visuellement, les membres et les mamelles des animaux sont propres. Les jarrets ne présentent ni lésions ni bosses... « Si je dois en sortir une pour l’emmener en concours, je n’en aurai pas pour bien longtemps à la laver », fait remarquer justement l'éleveur, connu de ses collègues pour sa passion des rings.
Autre point d’attention à garder en tête, la question de l’échelle. « Le système de séparateur de phase et de thermisation nous est revenu à 150 k€, hors bâtiment. Soit 200 k€, tout compris. Cette charge est diluée dans notre système : l’an dernier, nous avons livré 4,3 millions de litres de lait à la coopérative Pâturage comtois. C’est un élément à prendre en compte, à mettre en rapport avec les disponibilités en paille de son propre système, ses capacités de stockage, l’organisation du travail aussi. Dans notre cas, où nous avons la possibilité d’avoir beaucoup de main-d’œuvre pendant la traite au roto, pour remplacer la litière, ça fonctionne bien. »
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