De la matière organique bien fermentée

Ceci n’est pas le titre d’un publi-reportage, mais la traduction littérale en français du mot japonais « bokashi ». Une belle promesse pour une pratique inventée sur l’archipel nippon et qui commence à faire des adeptes en France. Il y a quelques mois, la rédaction de Cultivar rédigeait un dossier complet sur ce sujet. Nous vous proposons cette semaine de le découvrir ou le redécouvrir.

La technique du bokashi vise avant tout à préserver le carbone et les éléments minéraux contenus dans une matière organique fraîche. L’objectif : valoriser la totalité de ce que contient une matière organique au champ, après épandage.

© EM AGRITON

« Dans l’intégralité des essais réalisés, la technique du bokashi montre toujours une meilleure conservation des éléments présents dans la matière organique de départ », avance Jürgen Degraeve, directeur de l’entreprise EM Agriton travaillant sur la fermentation contrôlée depuis 2003. Cela se traduit par une moindre perte de masse. Un fumier mis en tas en bout de champ, même couvert, peut perdre jusqu’à 50 % de sa masse après un stockage de 10 mois. Sur la même durée, un fumier traité selon la technique du bokashi perd moins de 10 % de sa masse ! »

D’autres variables montrent des différences significatives. Dans les expérimentations menées par Agriton, le bokashi conserve jusqu’à 40 % de matière organique et de carbone en plus qu’un stockage de fumier couvert, rapporté à la tonne du fumier de départ. Et l’azote total restant dans le bokashi est significativement plus élevé que dans le fumier couvert. L’azote sous toutes ses formes restant un poste de charge important, s’il est possible d’en conserver davantage dans les matières organiques, cela induit des économies substantielles en fin d’année.

Une définition qui reste floue

Qu’est-ce que le bokashi ? Pour Jürgen Degraeve, l’« EM bokashi », comme il le nomme, est une technique de fermentation contrôlée de la matière organique. Selon lui, de nombreuses matières organiques peuvent subir ce processus.

Mais les définitions sont nombreuses et parfois divergentes. Pour Konrad Schreiber, conseiller indépendant à La Vache heureuse, « le bokashi fait partie de la grande famille des fermentations lactiques dans laquelle sont regroupées les micro-organismes efficaces (EM), le kéfir et la litière forestière fermentée (lifofer) ».

De son côté, Pierre Christen, chercheur à l’IRD, précise « qu’il s’agit d’un processus de fermentation anaérobie. Mais de nombreux produits sont appelés "bokashis"… La définition semble encore floue ».

Laurène Fito, experte compost et vie du sol au sein de Fibl France, complète : « Le bokashi regroupe toutes les fermentations de matière organique en milieu anaérobie avec ajout d’EM. Peu connue du milieu agricole, la technique l’est un peu plus chez les particuliers, car plus facile à appliquer au regard des volumes à traiter. »

Une technique qui a voyagé

Comme la technique souffre de trop nombreuses définitions, il est difficile d’en proposer un historique précis. Rémi Thinard, gérant de la société de conseil Symbiotik Agroécologie, s’y essaie tout de même : « Le nom bokashi est japonais, la technique aussi ! Les agriculteurs japonais ont toujours eu à cœur de conserver au mieux leurs matières organiques et déchets divers. Cela veut dire sans montée en température et à l’abri des intempéries. La technique s’est exportée en Amérique du Sud dans les années 1990. Les sources de matière organique étaient mélangées avec de la mélasse et des ferments, afin d’accélérer le démarrage du processus de décomposition. Le tas était ensuite remué chaque jour. Le produit obtenu se rapprochait d’un compost très jeune d’une quinzaine de jours, cela sans que la température du tas ne dépasse 40 °C. Le remuage régulier servait à éviter toute montée en température synonyme de détérioration, voire de destruction de la diversité microbiologique et de pertes de minéraux. Mais c’était un travail épuisant, difficile à réaliser. Au Japon, c’est sans doute Teruo Higa avec les EM qui a commencé à travailler sur des bokashis fermentés anaérobiques dans les années 1980-1990 aussi. Le même mélange a commencé à être stocké dans des sacs ou plus simplement tassé et baché. Ces techniques se sont développées avec de très bons résultats un peu partout en Amérique latine et dans le monde. »

Selon Rémi Thinard, c’est sans doute la société EM Agriton qui a importé la technique tassée et bâchée en Europe et qui l’a adaptée à la grande taille des exploitations professionnelles.